« Amour libre » vraiment ? Et après ?

anarchylove
« Le couple et la cohabitation sont aussi aliénants pour les hommes
que pour les femmes mais  [les hommes] ne le savent pas encore parce que
leur aliénation est celle du maître dont la survie – en tout cas le confort
quotidien – est liée à l’esclave […] On leur a appris depuis l’enfance
que si le couple et le foyer sont la place naturelle des femmes, leurs
véritables territoires sont ailleurs, au travail, au parti, à la guerre. En
partant accomplir les tâches nobles qui leur sont attribuées, ils croient
fuir l’aliénation du foyer mais ils ne font que quitter une aliénation pour
une autre et les deux se renforcent mutuellement, l’existence du couple et
celle de l’entreprise sont indissolublement liées et la réforme de l’un
s’appuie sur la libéralisation de l’autre. […] Ce n’est peut-être que
lorsque les femmes seront parties, (…) lorsqu’ils perdront leur base de
repli, leur résidence secondaire où ils refont leur force de travail, que
les hommes prendront profondément conscience, dans leur corps et pas
seulement en théorie, de leur aliénation globale et qu’ils remettront
concrètement en cause la notion de travail forcé ”

Evelyne Le Garrec, « Un lit à soi », 1979.

« Ce n’est pas la situation actuelle de la famille qui est inacceptable,
c’est son existence même. […]   Il n’y a pas à transformer la structure
parentale, car l’égalité vécue […] ne pourra exister et engendrer un
bouleversement total des rapports sociaux que dans une société sans
classes, décentralisée, techniquement autogérée […]. Il va sans dire que
ce type de société ne peut que se fonder sur un renversement total des
rapports entre les sexes et sur la disparition de la cellule familiale.

[…]Pour résumer : la famille est la courroie de transmission entre le
Pouvoir, quel qu’il soit, et le futur citoyen, prolo, cadre, patron,
enfant. C’est la famille et l’école qui font d’un enfant un “ adulte ” par
la violence. Mais le Pouvoir exerce également sa contrainte sur les parents
(surtout la mère par l’intermédiaire de l’enfant ; l’enfant est son otage,
son chantage). Toute personne qui n’a à vendre que sa force de travail –
99% des gens -, sitôt qu’il devient père ou mère est obligé de se
soumettre. Il doit travailler, et travailler à n’importe quoi, pour
n’importe quel prix. »

François d’Eaubonne, « L’hiver du patriarcat »,

Article, in Revue “ Autrement ” n. 3, Automne 1975

Au fil des rencontres, des discussions et des lectures et autres réflexions
sur « L’amour libre » ou le « polyamour » dans les milieux anarchistes,
anti-autoritaires ou dit « autonomes », avec un peu de recul on en vient
assez vite à se demander si ces termes ont encore un sens. Et surtout s’ils
ne sont pas aujourd’hui très galvaudés.  Ce sont des termes parfois vus
comme un peu prétentieux. Parce qu’il y a dans certains milieux
(« radicaux » ou pas) un prestige à dire qu’on est « en amour libre ». Ces
termes « d’amour libre », d’amour pluriel ou de « poly-amour » produisent
un effet. Termes qui sous entendent aussi implicitement qu’on est tellement
plus libéré-e-s que les autres et qu’en plus on s’aime (ou pas). Mais quel
que soit le mot qu’on utilise, il semble recouvrir un ensemble
d’agencements et d’arrangements amoureux, amicaux, sentimentaux ou sexuels
(ou un peu tout cela à la fois) qui n’ont souvent rien en commun les uns
avec les autres sinon de ne « pas être un couple »… et encore.

Dans une partie des milieux révolutionnaires ou dit « anti-autoritaires »,
ces termes (ou d’autres synonymes) sont un peu à la mode ou font simplement
force de « tradition ».

Mais force serait plutôt de constater qu’il existe un vide cosmique au
niveau de la réflexion et de la critique concernant nos pratiques et les
questionnements qui sont liés à cette question, ou presque.

Soit que ce n’est pas « subversif en soi », soit que c’est « l’affaire de
chacun-e », soit que ce n’est pas « une pratique de lutte ». Bref, une
bonne dose de libéralisme et de mauvaise foi pour cacher la misère et
renvoyer les questions qui touchent à l’intime à la place que lui avait
déjà assignée la société dans laquelle nous vivons : celle du « privé ».
Ou encore (autre solution cybernétique) en faisant de la question un
problème de mauvaise gestion.  Le couple n’étant pas apte à « gérer les
sentiments », on « collectivise » en présentant ainsi la question comme
devant simplement être mutée de la « sphère privée » à la « sphère
publique » sans questionner ni le pouvoir, ni la gestion, ni ces fausses
séparations. Dans tous les cas, on est face soit à un refus d’aborder le
problème de face, soit à une volonté d’y imposer des solutions toutes
faites. Deux versants d’une même manière d’ignorer l’éléphant qui est dans
le salon.

L’Unique et son intimité.

« La liberté intellectuelle dépend des choses matérielles. La poésie
dépend de la liberté intellectuelle. Et les femmes ont toujours été
pauvres, depuis le commencement des temps. Les femmes ont eu moins de
liberté intellectuelle que les fils des esclaves athéniens. Les femmes
n’ont pas eu la moindre chance de pouvoir écrire des poèmes. Voilà pourquoi
j’ai tant insisté sur l’argent et sur une chambre à soi. »

Virginia Wolf, in « Une chambre à soi »

« Être dans la solitude, c’est là le difficile. Continuer à être, à garder
le sentiment de sa propre existence — être, et non pas cesser d’être, quand
l’autre n’est pas là — et conserver le sentiment d’identité — être soi, et
pas les autres. Il est des gens pour qui la chose paraît simple. Ils sont
convaincus que leur existence vraie ne cesse pas, mais peut-être même ne
commence qu’à l’écart des autres. Ce retrait, ils le nomment, c’est selon,
la vie privée, la table d’écriture, la chambre à soi. Pourtant, pour
beaucoup, l’être se défait, s’altère quand l’autre manque. (Mais cet autre
qui ne peut faire défaut sans que je sombre dans le néant, est-ce bien un
autre ?) Ils ne sont que quand ils ne sont pas seuls (la promiscuité tient
lieu de proximité). »*

Michel Schneider, in « Glenn Gould piano Solo ».

Dans toutes les nouvelles sectes gauchistes new-age, comme dans toutes les
tentatives désespérées de réanimer les cadavres encore chauds des vieilles
idéologies révolutionnaires (post-situ et marxistes, etc…) -concernant les
problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui dans nos vies- se
révèlent non seulement inopérantes pour expliquer le monde qui nous
entoure, et formuler leurs perspectives révolutionnaires, mais ont toutes
en commun la négation pure et simple de l’individu.

Plus précisément, c’est cette fable de « l’individu immédiatement social » (
*le communisme ?*) décliné à toutes les sauces qui revient régulièrement
(ou sous d’autres formes), et raisonne comme une douce promesse. La
solution est forcément collective, forcément une question de « luttes des
classes » et de « rapports de production », et en bref ne laisse aucune
place non seulement à l’individualité mais aussi aux questions qui touchent
à l’intime et au domaine du sensible. Comme si d’ailleurs ces champs
étaient exclus de tout rapport de force et de toute domination…

Or, dans cette vision l’individu n’est im-médiatement social (c’est-à-dire
sans médiations) que dans le « monde idéal»,  une fois achevée l’abolition
des classes, de « la valeur », de toutes les formes d’oppressions et de
dominations…  et d’ici là, bon courage camarades !

Car de fait cette fable ne vaut pas dans la société dans laquelle nous
vivons puisque l’individualité n’est conçue par ceux qui la « nient » que
comme le produit finit d’un processus d’atomisation (ce qu’il est aussi en
négatif) et comme un concept « bourgeois » ou libéral, ou comme simple
produit de rapport de production ou d’échanges.  Ironie du sort,
libéralisme existentiel et communisme littéraire se passent très bien du
concept d’individualité ou d’individu.

Dans la perspective « communisante » précisément, comme dans la perspective
qu’on pourrait qualifier de « tiqqunienne » (ou dans bien d’autres
théories) le grand mouvement qui est à la fois sa perspective, sa méthode
et son propre but, communise donc tout sur son passage : les chaussettes,
les radiateurs, le pain et les affects.  Du moins il croit le faire. Ça
c’est sur le papier évidemment.  Le problème c’est bien sur que les
« affects », ou plus généralement les sentiments (et moins encore les
individu-e-s) ne peuvent se résumer à des « produits du procès de
production» (entre autres tautologie) ou à des marchandises
interchangeables qu’on peut voler, auto-réduire et « se faire passer ».

Le problème c’est précisément que la rationalité capitaliste et autoritaire
a imprimé cette idée sur son passage. Et qu’à défaut de penser la question,
c’est la même rationalité de supermarché qui range au même rayon les boites
de conserves, le papier toilette, la copine, le copain, « mes ex et mes
futurs ». A tel point qu’on pourrait presque écrire sur la liste de courses
et de choses à faire « trouver une autre relation ». C’est en général ce
qui se fait sur les « réseaux sociaux », sur internet, par exemple.

Evidemment, en plus de témoigner d’une misère affective *désarmante* (et ce
n’est pas rien de le dire),  cet « amour libre » là (sous ses diverses
facettes) est le plus souvent un petit théâtre dérobé de la reproduction
des formes de dominations hétéro-sexistes et patriarcales, souvent même de
manière paroxysmique et caricaturale.

La plupart des « amour-libristes » revendiqués sont bien entendu des hommes
hétérosexuels. On se demande entre hommes « comment convaincre sa copine de
s’y mettre » sans se demander si on va vraiment le supporter (ou mieux, on
lui interdit en se permettant toutes les libertés dans son dos). Et quand
la « copine » trouve la clef des champs,  on se transforme en une espèce de
Tartuffe machiste désabusé, la traitant de tous les noms, et on invente des
mensonges incroyables pour se faire passer pour la victime auprès de tout
le monde. On affiche son tableau de chasse devant ses potes et on explique
qu’on est « blessé » ou qu’on se sent « abandonné » dès que la « copine »
fait preuve d’un soupçon d’autonomie sentimentale ou sexuelle.  Ou
pire donc : on cloitre, on isole.

« A elle le couvent, à moi la *liberté* ». On « fait le canard » devant
« sa » copine attitrée, le fier devant ses potes et le malin avec les
autres, pour montrer combien on est pas jaloux.

Evidemment, ces situations sont toujours transposables d’un sexe à l’autre
ou dans des relations non-hétéro-normées qui se calquent sur le modèle et
le style de vie du couple dominant. Ces attitudes (qui ne sont pas
l’exclusive propriété des hommes) donnent simplement parfois l’impression
d’être juste la norme : à la fois dans les couples traditionnels, dans les
couples « réformés », et dans le cloaque « amour-libriste » (dans toute sa
diversité) qui ne dit pas son nom mais est quand même très fier de ce qu’il
prétend être.

Dans tout ça, il y a l’aspect irrémédiablement « précaire » de la vie
collective, qu’elle soit le fait de collocations, de logements sociaux où
on s’entasse ou de squats. Encore que ces derniers offrent au moins en
puissance –et même temporairement- plus de potentialité : parce que plus
d’espace.

Mais dans tous les cas, soit c’est le désert où l’intimité a été « abolie »
ou « collectivisée » de force (ce qui dans l’esprit de secte de nombreuses
personnes, signifie la même chose), soit c’est le couple comme refuge (et
de ce point de vue là, on a pas toujours envie de lui en vouloir). Mais
encore une fois, c’est de territoire partagé sous la contrainte qu’il
s’agit. Une maison, un espace, une chambre, un lit. De toute évidence, il y
a là toutes les raisons de ne pas s’interroger sur l’autonomie individuelle
et même le consentement tant ces questions impliquent des réponses «
dangereuses ».

Dangereuses pour la société en général, mais aussi pour un ensemble de
milieux où le crime suprême dans la vie collective n’est pas de vouloir
forcer les limites corporelles et intimes des autres mais bien plutôt de
mettre un verrou à sa chambre. Là où il ne viendrait étrangement à personne
l’idée de démonter celui des chiottes ou de la cave par exemple.

Et puisqu’on en parle : un ensemble de milieux qui a enterrée l’idée
même *d’une
chambre à soi*, voir même d’*un lit à soi* en même temps que toute
possibilité d’autonomie individuelle -et donc d’individualité comme
principe et comme tension – ne porte résolument pas grand choses.

Et il faut bien des renoncements pour y parvenir. Et d’abord celui à
l’intimité.  C’est-à-dire à la possibilité –même ponctuelle- de s’isoler,
d’être parfaitement seul lorsqu’on en a envie, de garder certaines choses
pour soi, de ne pas partager toutes nos expériences avec la terre entière.

Du reste, la volonté manifeste et systématique de « collectiviser
l’intime » (c’est-à-dire en fait de le détruire) s’apparente plus qu’autre
chose à une volonté de pouvoir et d’emprise collective (souvent par un
petit groupe ou quelques individu-e-s) sur les relations
inter-individuelles. Bien entendu, le « privé » est politique. Mais
l’intime n’est pas nécessairement « privé ». Il est une tension entre soi
et les autres. Il est ce mince fil qui permet d’exister par soi-même avec
les autres.

On peut disserter sur l’idéal que représenterai le fait de vivre –comme
certains anarchistes naturistes de la belle époque par exemple- en
communauté totale dans un Eden retrouvé, qu’on en ferait pas disparaitre
pour autant l’irrépressible besoin d’intimité. L’intime est en fait bien
plus que le besoin d’être seul ou le « lien particulier qu’on partage avec
d’autres », il est aussi la distance raisonnable dans laquelle on les
maintient. Il est cette bienveillance avec laquelle on rappelle à l’autre
qu’on n’est pas lui ou elle. Il est aussi la force avec laquelle on
repousse nos propres fantasmes de fusion, dans tout ce que ceux-ci
comportent d’autoritarisme, de vampirisme affectif, d’appropriation du
corps de l’autre, et donc aussi d’hétéro-sexisme, et même de cannibalisme
social (au moins dans l’étrange légèreté avec laquelle on considère les
corps comme simples aliments de nos « besoins »). En lieu et place de la
liberté ou de l’émancipation, c’est bien un libéralisme qui ne dit pas son
nom qui domine la plupart du temps. Celui du « j’fais c’que j’veux et
j’t’emmerde ».

Là encore –évidemment- le ressac patriarcal, et le ressac libéral et non
anarchiste, comme projet contre-révolutionnaire s’exprime avec une aisance
et une complaisance *désarmantes*.

Sous toutes *bonnes intentions*, les volontés de faire disparaitre cette
tension qu’est l’intime – à travers la généralisation du ragot ou la mise à
disposition des corps- sont simplement d’excellentes méthodes de
pacification et de contrôle, et bien entendu le retour à des formes
ancestrales de privation, de contrainte et d’exploitation : tout
particulièrement pour les femmes.

Evidemment, la tendance au ragot, ou le fait d’exposer en permanence les
autres sans leur consentement ne doit pas être compris comme une critique
de la solidarité nécessaire dans les  situations de violences ou d’abus,
mais comme la norme qui consiste à se vanter de « ses relations », comme
une autre forme de « capital social ».  Norme omniprésente dans les
relations de couples et hétéro-normées. Ou plutôt du couple hétéro
traditionnel comme modèle relationnel unique et de référence.

*Ouvrir la boite de pandore, et laisser nos illusions s’envoler.*

*« nous savons bien que malgré nos conceptions nous sommes encore jaloux,
menteurs, propriétaires, autoritaires. Et comment, du jour au lendemain,
ces tares que nous nous reconnaissons pourraient-elles s’effacer chez tous?
(…) Constatons simplement l’effet certain d’améliorations que peuvent
amener en les individus l’application des idées anarchistes, mais soyons
assez lucides pour ne pas espérer supprimer instantanément les tares et en
particulier les souffrances de la jalousie **»*

Anna Mahe, in « Jalousie »,

l’anarchie, 21 février 1907, n° 98

Ce « communisme » d’opérette-là (celui cité plus haut), sous toutes ses
facettes, ne fait que singer les pires fantasmes « biopolitiques » de
caserne et de panoptique en termes de relations sentimentales comme dans la
vie quotidienne. Il s’apparente d’une certaine manière à la « maladie
communautaire » décrite par Bonnano dans son texte du même nom. Une
véritable *politique* à lui tout seul justement.  S’il y a une analyse
critique à porter sur ce qu’il est encore convenu d’appeler
« l’économie »,  c’est aussi contre nos propres pratiques oppressives et
autoritaires qu’elle doit s’orienter. Car une des bases du capitalisme (et
par extension de toute oppression et domination) n’est pas juste
l’accumulation, ou même le processus de valorisation mais bien
l’appropriation, et conséquemment la force et la contrainte qu’elles
supposent.

En réalité, la seule philosophie qu’on puisse réaliser dans ces conditions
sans s’attaquer au problème de l’autorité et des diverses formes de
pouvoir, institutionnelles comme celles dans la vie quotidienne, reste un
« communisme de la survie ». Et c’est un principe qui se vérifie aisément :
la survie ne pousse pas les gens à se révolter, à s’auto-organiser ou à
lutter. Elle pousse au mieux à se replier sur soi, et plus généralement à
s’entredévorer et à se familiariser avec une sociabilité de charognards.

On peut donc d’autant moins se payer le luxe d’ignorer la question de la
liberté dans les relations amoureuses, sentimentales ou amicales (et de
comment éviter de trop séparer tout cela) que la situation actuelle dit
quelque chose du désastre ambiant : du ressac patriarcal et des
comportements de prédateurs, du racisme rampant et institutionnel, de la
dégradation généralisée des conditions de la survie, des relations de
pouvoir et de la violence dans les relations amoureuses, affectives ou « de
couple ». Et au milieu de tout cela, de la possibilité d’établir des
relations sociales libérées. La situation dit aussi quelque chose de notre
incapacité à lier notre éthique et nos pratiques dans la vie quotidienne à
celles que nous prônons dans nos luttes. Si nous n’en parlons pas, si nous
ne nous regardons pas en face : alors les mêmes causes produiront les mêmes
effets.

De la même manière qu’on ne peut pas tout réduire au lieu de travail, on ne
peut pas tout réduire à « l’économie », et on ne peut pas d’un côté parler
à qui veut l’entendre de « commun » en enterrant systématiquement tout ce
qui sort du champ du « social » et de ses « mouvements » au sens le plus
restreint des termes.

Ironie du sort, la seule chose qui fasse encore consensus à propos de
« l’amour libre » c’est que ce n’est même pas un sujet de débat. Après
tout, c’est Emma Goldmann qui demandait « Comment l’amour pourrait-il être
autre chose que libre ? ».  On devrait se demander aujourd’hui : comment
pourrait-il l’être vraiment ?

Les discours convenus sur « l’amour qui est à réinventer » ou « à
détruire »  ne nous apportent rien ou pas grand-chose. Les gens continuent
de tomber amoureux/ses en prétendant que ce n’est pas le cas et se font
toujours aussi mal voir plus.  Comment pourrait-il en être autrement ?
L’amour est-il un problème en soi ou est-ce seulement la manière de
l’envisager ? Ou n’est-ce pas plutôt un problème plus général où les
sentiments et les affects continuent de pâtir soit de leur exclusion du
champ d’analyse critique, soit de leur soumission à des modèles
« révolutionnaires » préconçus.

Toutes ces questions restent en suspens.

Autonomie sentimentale et clandestinité amoureuse.

« L’émancipation de la femme est, selon moi, très mal posée chez les
anarchistes. La femme n’est guère envisagée que comme épouse ou amante, que
comme complément de l’homme et incapable de vivre sa vie pour et par
elle-même. (…) La femme est donc prédestinée à l’amour, légalisé chez les
gens comme il faut, « libre » chez les anarchistes »

Sophia Zaïkowska, in « Feminisme » ,

La Vie anarchiste, 1er mai 1913

On peut se raconter des berceuses ou prétendre que tout n’est qu’une
question de « conditions matérielles » (sur lesquelles on a donc peu de
prise, c’est donc « la faute à personne ») ou même de « bonne volonté »
(c’est donc « la faute à tout le monde ») et on en perdrait presque de vue
la puissance de l’idéologie. Du fait que nous avons été conditionné-e-s à
penser que « l’amour c’est papa et maman ». Que c’est pour la vie. Que
c’est une romance et une histoire à deux uniquement. Ou bien que c’est
« moi et mon cheptel » (version « prince proxénète »). Même lorsque ce
n’est pas ce qu’on a vécu dans son enfance et moins encore ce qu’on
voudrait vraiment pouvoir désirer.

Les désirs en disent d’ailleurs généralement plus sur  ce que nous avons
été conditionné-e-s à penser que sur ce qui nous rend véritablement
heureuses/eux.

Mais une chose est sure, sans chambre à soi, sans lit à soi, sans
intimité : quelle type de relation libre est encore possible ?

La misère sentimentale et la vulnérabilité affective rendent possibles les
pires actes et attitudes autoritaires et hétéro-sexistes en matière de
rapports sociaux sentimentaux. Pire, elles en sont une conséquence
inévitable. Cessons de faire comme si la violence –même psychologique- dans
les rapports amoureux ou sentimentaux n’était qu’un accident de parcours ou
seulement « la faute au couple ». Car cette misère et cette vulnérabilité,
cette exposition rendent aussi possible le couple comme refuge et comme
mouroir. Et tout cela est profondément lié à l’absence d’intimité (ou son
contrôle strict, par un individu ou le collectif) et au fait de ne pas
pouvoir se retourner sur soi, de réfléchir et se questionner, pour se
reposer, ou pour toucher son propre corps et jouir enfin seul. Ce n’est
pas  un hasard si ceux et surtout celles qui en ont été privées sont
pris-e-s d’insomnies chroniques ou atteint-e-s de procrastination et
d’apathie. Précisément, ce n’est aussi pas un hasard si cette condition
d’absence d’intimité (ou d’intimité contrôlée) est déjà –à divers degrès-
celle de la plupart des femmes dans les sociétés dans lesquelles nous
vivons.

Ironie du sort : l’injonction « immédiate » à la société contenue dans la
conception dominante « d’amour libre » (ou de « camaraderie amoureuse » –
pour reprendre un autre concept douteux) ne fait en fin de compte
qu’étendre l’exigence marchande et patriarcale de mise à disposition des
corps.

Il n’y a donc pas qu’une manière, mais une infinité de façons de rompre
avec cette condition. De s’y attaquer. Qui correspondent aux désirs, aux
problèmes, et aux spécificités oppressives de chacun-e-s.

Et que nous devrions le voir comme une aubaine et non une contrainte.

En effet, il y a quelque chose de puissant dans cette tension qui lie la
nécessité première d’être « unE » aux désirs et aux besoins d’être
« plusieurEs ». Et l’unE ne peut pas aller sans l’autre. L’analogie est
aussi bien transposable aux sentiments, à la lutte des classes ou aux
rapports sociaux de sexe qu’à la question de l’auto-organisation. Et toutes
ces questions ne font que se recouper en permanence.

Sans en faire l’alpha et l’oméga de toute théorie -et quoi qu’on en dise-,
l’élément de base, celui qui n’est pas compressible, qui ne peut pas être
« dissout », qui se révolte, qui respire, qui ressent et qui se débat de
toute ses forces contre tout *assujettissement* (d’autres disent de
« subjectivation ») n’est ni le groupe, ni la secte, ni le parti politique,
ni le milieu, ni la fédération : c’est d’abord l’individu-e.  Concept qui
n’est ni intrinsèquement marchand, ni forcément libéral, ni même
essentiellement « bourgeois » ou même contradictoire avec une analyse de
classes.

Parce qu’il est le sujet sensible de tout pouvoir : parce que c’est le X
de l’équation.

D’où la nécessité pour toute autorité ou tout esprit de secte de le
transformer en *citoyen*, en « produit fini», en sujet d’analyse* *ou en
quoi que ce soit d’autre, ou tout simplement de le nier : de faire comme si
il n’existait pas.

L’idée d’autonomie sentimentale prise uniquement d’un point de vue
« collectif » est une pure abstraction. Le sentiment de jalousie en dit
d’ailleurs plus sur l’image qu’elle nous renvoie de nous-même que sur les
autres. Elle dit quelque chose de notre besoin de contrôle et du soi-disant
« instinct de propriété » – et de la peur de l’abandon qui les construisent
socialement. Même si cette peur est parfois légitime : il faut apprendre à
vivre avec, et à l’apprivoiser. Car elle dit aussi quelque chose de notre
incapacité à éprouver de la joie à l’idée de savoir l’autre heureuse/eux
sans nous. C’est-à-dire à éprouver l’exact contraire de la jalousie.

Mais tout ça n’est pas une mince à faire. Et si tout n’est pas non plus
qu’une question de « volonté », alors il faut s’interroger sur les
conditions qui rendent cette liberté possible. Et d’abord d’une absence de
condition oppressive et autoritaire (de lois, de traditions, de classes,
patriarcale, raciste, etc…). Ce qui nous mène inéluctablement sur le
terrain de l’attaque et de la conflictualité avec cette même condition.

Et aussi sur celui d’une sorte de clandestinité amoureuse. Parce qu’en
effet, dans un monde où la violence de la domination est omniprésente,
toute intimité réelle est forcément un peu clandestine. Le stade suprême du
soit disant “processus d’individuation” capitaliste et étatique en matière
de relations sociales se traduit en réalité par un état où l’individu n’a
plus ni “vie privée”, ni vie tout court.

C’est précisément pour ça que la communauté de vie ou de luttes sans
intimités ne subvertie rien en termes affectifs. Pour le redire à nouveau,
d’une autre manière : elle ne fait qu’étendre l’exigence policière de
renseignement et celle de la disponibilité et de l’interchangeabilité
marchande des corps à la sexualité dans un simulacre “d’économie sexuelle
libérée” (triple oxymore ?) qui ne se maintient qu’au travers de sa
perpétuelle mise en scène.

Ainsi, même si il s’agit parfois de quelque chose de « symbolique », dans
un environnement hostile où « sexualité »  rime avec violence et
prédation : savoir rester secret pour soi est un gage d’autonomie et pas
nécessairement de possession, de jalousie ou « d’esprit petit bourgeois ».
Ou simplement parce que : tout le monde n’a pas besoin de tout savoir sur
tout.

C’est là toute la contradiction dynamique que portent en elles les réponses
à la question de savoir si et comment nous pouvons vivre nos amours
librement dans un monde qui ne l’est pas : et après ?

Le Cri Du Dodo

Quelques lectures, comme pistes de réflexion, en plus de celles citées dans
le texte :

– “A propos d’autonomie, d’amitié sexuelle et
d’hétérosexualité”http://infokiosques.net/spip.php?article473,
de Corinne Monnet.

– “Sous le tapis le pavé : Les violences sexistes dans les milieux
militants qui se revendiquent anti-sexistes et
anti-autoritaires”http://infokiosques.net/spip.php?article989
, Récit collectif et anonyme.

– “Amour libre, jusqu’où ?”,

http://1libertaire.free.fr/AmourLibre01.html de Martine-lisa
RIESELFELD

– “L’utopie de l’amour libre”http://www.plusloin.org/refractions/refractions7/ferreira_amour.htm,
de José Maria Carvalho Ferreira, revue Réfractions.

– “Les milieux libres, vivre en anarchistes à la Belle époque”, Céline
Baudet, éditions l’Echapée.

– *“Je t’aime… oui mais non, l’amour c’est mal … on en est où, là?” http://infokiosques.net/spip.php?article428 anonyme

– “Complicated relationships : conversations on polyamory and
anarchy”, Ardent Press edition (en anglais).
source:
http://lecridudodo.noblogs.org/post/2013/06/20/amour-libre-vraiment-et-apres/

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[Antifascisme]Nouvelle manifestation contre le fascisme à Tours

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Après les manifestation des 6 et 8 juin en réaction à l’assassinat de
Clément Méric, une manifestation unitaire est prévue à paris le dimanche
23 juin .

Le contexte politique est toujours aussi malsain (cf élection Villeneuve
sur Lot) .

Dans le cadre de l’appel national ci joint, nous proposons une déclinaison
locale sous la forme d’un rassemblement/ manifestation le samedi 22 juin à
15h devant la mairie de Tours.

http://solidaires37.org/spip.php?article745

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[25 ans de subversion carabinée] Pour l’échange de bons procédés

http://susauvieuxmonde.canalblog.com/archives/2013/06/18/26750810.html

Nous célébrons le vingt-cinquième anniversaire de l’Anthologie de la
subversion carabinée de notre cher Noël Godin. Pendant vingt-cinq
semaines, des auteurs choisis au hasard dans le sommaire du livre sont ici
proposés, avec un ou deux extraits pris au hasard dans le chapitre à chacun
consacré. L’exercice est gratuit, paresseux et purement incitatif. Pour le
reste, démerdez-vous. Réimprimée plusieurs fois, l’*Anthologie* est encore
en vente libre (éditions de l’Âge d’homme), grâce à elle c’est Noël tous
les matins. Achetez-la, volez-la, donnez-la ou partagez-la, mais lisez-la.

Aujourd’hui : Félix Fénéon (1861-1944)
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Pour l’échange de bons procédés (1893)

« Décidément, le respect de l’autorité et le prestige de l’uniforme ne se
manifestent plus guère qu’en de pauvres cervelles. À Argenteuil, un
gendarme a été rossé d’importance par un particulier sans doute tracassé et
malmené naguère par le soudard pour un simple délit de chasse. Qu’importe
le motif de représaille: l’essentiel est que Pandore a été corrigé et qu’il
eût été impitoyablement occis sans un de sa bande arrivé juste à temps pour
le dégager. Le plus regrettable c’est que Grimban – le courageux agresseur
à qui nous adressons notre franche sympathie – n’a pu, malgré son énergie,
résister aux deux sbires qui purent le ficeler et traîner à la gendarmerie,
où certainement, dans un coin, il dut être assommé par toute la brigade
sonnée à cet effet. Ce qui stupéfie les feuilles soumises racontant
l’histoire, c’est que durant la lutte, nulle intervention ne se produisit
de la part des deux cents personnes qui faisaient cercle autour des deux
adversaires. Cette indifférence est déjà de bon augure pour nous, mais
c’eût été plus réjouissant encore si la foule avait délivré le prisonnier.
Ça viendra ! »

« Le compagnon Liard, de Bordeaux, vient d’être condamné à quatre mois de
prison pour avoir tenté d’empêcher un ouvrier de trahir ses camarades
grévistes en se vendant à vil prix au patron; Gustave Mathieu à un an, pour
avoir rendu service à une mégère suspecte en lui déménageant des tonneaux
de vernis qu’elle voulait sauver des griffes de créanciers menaçants. Comme
les capitalistes et leurs magistrats à gages sont maladroits dans leur
défense lorsqu’ils croient annihiler les propagandistes en les captivant !
Liard et Mathieu ne font que changer de milieu et prêcheront la Révolte à
leurs codétenus avec d’autant plus de succès que les réprouvés qu’on
enferme n’ont plus rien à espérer de la Société. Dehors, nos amis ne
réussissaient peut-être qu’à faire de lamentables grévistes ou de
discutables insoumis. En prison, il prépareront des destructeurs. »

« Les feuilles publiques racontent qu’un journalier ne trouvant plus à se
vendre s’est jeté dans la Seine, abandonnant trois enfants malades, dans le
plus complet dénuement. Le respect de la propriété est idiot. On ne peut
voler que ce qui appartient à autrui. Or, rien n’étant à personne, c’est
faire le Mal que de se détruire en laissant les siens dans l’impossibilité
de se subvenir, alors qu’il y a partout surabondance de produits. Et il est
vertueux de déposséder quelqu’un pour satisfaire plusieurs. […] »

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[évasions] à Paris, rencontre autour de deux publications du “Groupe d’information sur les prisons” (GIP)

La librairie « Le Monte-en-l’air » organise ce soir( le 19 juin) une rencontre autour de la publication de deux ouvrages revenant sur l’activité du Groupe d’information sur les prisons (GIP). Ce collectif, né en 1971 et composé de Jean-Marie Domenach, Michel Foucault, Pierre Vidal-Naquet, Gilles Deleuze, Danielle Rancière, Daniel Defert, Jacques Donzelot, Jean Genet, Jean-Paul Sartre, d’anciens prisonniers, d’avocats, de magistrats, de journalistes, de médecins et de psychologues, visait à publier le résultat d’enquêtes et de réflexions sur les prisons afin d’alerter l’opinion sur les conditions de détention.
http://leblogdeshige.com/2013/06/ce-soir-a-paris-rencontre-autour-de-deux-publications-du-groupe-dinformation-sur-les-prisons-gip/
gip-1gip-4gip-6gip-8

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[Istanbul]Compte-rendu et analyse parcellaire de la situation

Compte-rendu et analyse parcellaire de la situation à Istanbul (16
juin) https://juralib.noblogs.org/2013/06/17/compte-rendu-et-analyse-parcellaire-de-la-situation-a-istanbul-16-juin/
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 Un camarade nous a fait parvenir à partir d’Istanbul ce texte

À choisir la manière forte, le pouvoir marche sur des œufs. Le mouvement
semblait s’essouffler quand la police a évacué avec une grande brutalité le parc Gezi hier soir samedi.  Le moment actuel est critique. Aujourd’hui,
Erdogan a fait un meeting fleuve devant des dizaines de milliers de ses
partisans, répétant que les manifestants étaient des terroristes. Des
manifestations pro-AKP commencent à se former, elles croisent les autres,
le risque de confrontation est grand. À l’heure où j’écris, les
affrontements continuent dans les quartiers autour de la place Taksim. Il
ne fait pas de doute que la violence de la répression alimente la poursuite
d’un mouvement qui est lui-même né en réaction à une répression brutale et
qui semblait avoir des difficultés à tracer des perspectives lui permettant
de s’étendre et de se renforcer.

Hier soir, après une évacuation au cours de laquelle la police a moins que
jamais fait dans la dentelle (les blessés se comptent par dizaines, alors
même que les occupants avaient un comportement plutôt pacifique), les
manifestants se sont dispersés dans le quartier, faisant face des heures
durant aux flics qui gazaient à tout-va. Parallèlement, des cortèges se
sont formés un peu partout dans la ville, bloquant des axes, scandant des
slogans, tapant dans des casseroles, cela jusque tard dans la nuit.
Aujourd’hui, les manifestants se confrontant avec la police formaient des
dizaines de groupes dans un périmètre assez large autour de la place Taksim.

En choisissant de mettre fin à l’occupation de la place lundi et à celle du
parc (qui jouxte la place) samedi, le pouvoir espère mettre fin à un
mouvement aux contours flous en lui retirant son lieu de regroupement. Mais
parallèlement il prend parallèlement le risque de voir les manifestations
se répandre géographiquement dans la ville – il prend le risque de la
saturation et de la généralisation des points de blocage.

Il n’est pas sûr que ce saut advienne. Le début de la semaine sera sans
doute décisif : soit face à la répression la confrontation s’étend et se
renforce, soit le mouvement s’éteint peu à peu. Désormais il ne pourra plus
stagner dans le parc comme il l’a fait les jours précédant l’attaque de
samedi.

Les quelques remarques qui suivent essayent donc de faire un bilan d’étape
alors que le mouvement est à un tournant ; elles découlent de l’observation
du mouvement autour du parc à Istanbul au cours de la semaine écoulée, cela
sans parler la langue et sans être familier du pays. Elles sont donc
nécessairement très parcellaires.

1. Depuis le début, la contestation mêle deux composantes, l’une organisée,
l’autre non : d’une part les organisations politiques, une mosaïque de
partis et de micro-partis, essentiellement gauchistes mais aussi
nationalistes voire fascisants ; de l’autre une frange de la population
stambouliote correspondant grosso modo à une jeunesse middle class laïque
et tournée vers l’Occident sans expérience politique (bien qu’une telle
catégorisation sociale est nécessairement très grossière et recouvre des
réalités mouvantes). Les orgas ont leur propre agenda pour tenter d’obtenir
des gains politiques à partir du mouvement, mais cet agenda est flou et le
contrôle qu’elles exercent sur le mouvement limité – cela y compris quant à
leurs propres troupes : il faut distinguer les appareils des militants de
base, souvent fortement impliqués par-delà les directives de la direction.

Depuis la première évacuation de mardi, les orgas avancent en ordre
dispersé, essayant pour certaines de se poser en interlocuteurs
respectables du mouvement, négociant de ci de là, annonçant la fin de leur
présence dans l’occupation du parc ; mais il apparait donc que le pouvoir
se sent parallèlement suffisamment fort pour continuer à envoyer les flics
gérer la situation sans tenir compte plus que ça des volontés de médiation.
De fait, il sait que l’AKP conserve une base sociale forte et l’heure
semble venue de mobiliser celle-ci.

C’est essentiellement sur la base de cette polarisation et du mépris
affiché par le pouvoir pour les manifestants (malgré des concessions
limitées et surtout accordées avec un dédain non dissimulé par Erdogan : il
a concédé l’organisation d’un référendum à Istanbul sur la transformation
du parc) que le mouvement s’est construit. Cette polarisation, devant les
discours martiaux du premier ministre et l’usage clairement disproportionné
et peu démocratique de la violence policière, risque maintenant de se
renforcer.

2. Par-delà le point de fixation que constituent (constituaient ?) le parc
Gezi et la place Taksim, on ressent bien dans une partie de la ville une
ambiance particulière. Les murs sont couverts de slogans un peu partout,
les concerts de casseroles à heures fixes continuent, samedi soir on
circulait à pied sur des voies rapides éloignées du centre-ville.

Les revendications sont multiples, floues et inessentielles. Comme dans
tout mouvement d’ampleur, la joie de l’émergence d’une force collective,
par-delà la violence de la répression, est palpable et constitue la
dynamique centrale de la lutte. « Contre le fascisme, tenons-nous épaule
contre épaule », scandent les manifestants. Ils ont pris goût aux gaz, au
jeu du chat et de la souris avec la police et affichent une grande unité
dans les moments de confrontation : ils s’entraident ; il n’y a aucune
confrontation entre ceux qui affrontent directement la police et les autres
; les masques et les lunettes de plongée sont un signe de reconnaissance
partagé par des milliers de personnes ; et puis depuis deux semaines les
gens ont appris à faire front : il y a une certaine intelligence dans la
manière de réagir face aux gazages et aux charges. Mardi dernier, on voyait
des grands-mères distribuer des pierres pour les lancer sur les flics et
d’autres montrer comment jeter les grenades lacrymos dans des bacs d’eau
pour les neutraliser ; on voyait des vieux avec des masques à gaz aider à
monter d’impresionantes barricades. On voyait des jeunes circulant juchés
sur des engins de chantiers acclamés par la foule. On voyait aussi toutes
sortes de gens se balader entre les gaz et les barricades sans aucune
panique, et hier soir, alors que le quartier autour de la place Taksim
était submergé par les gaz, la vie continuait dans une ambiance
particulière : les bars et les échoppes restaient ouverts, on entendait de
la musique un peu partout, et les gaz semblaient participer d’une fête de
quartier.

La brèche ouverte dans le quotidien, les joies de la foule où chacun
devient un camarade, la parole qui circule entre les gens, etc. : il ne
fait aucun doute que l’on assiste là à un grand moment de communion
populaire… pourtant assez clairement circonscrit. Car il contient aussi
l’autolimitation d’un mouvement qui jusqu’ici n’a guère débordé – on saura
dans les jours à venir si un tel processus est finalement en cours.

3. Cela semble essentiellement lié sa composition de classe spécifique. La
Turquie a été relativement épargnée par la crise. La jeunesse de la classe
moyenne qui constitue le noyau du mouvement ne manifeste pas parce qu’elle
sent son avenir économique menacé, mais bien parce qu’elle se sent menacé
dans son mode de vie par les projets agressifs du gouvernement «
islamo-conservateur » : limitations sur la consommation d’alcool, volonté
de réappropriation du centre-ville d’Istanbul pour lui restituer son
caractère « ottoman » mâtiné de marchandisation agressive de l’espace
public. Cela dans un contexte marqué depuis deux ans par une sorte de
durcissement islamiste, avec par exemple des menaces sur le droit à
l’avortement et aussi une forte personnalisation du pouvoir d’Erdogan qui a
tendance à se comporter en « dictateur » (ce qui n’est pas sans entraîner
des tensions au sein de son propre parti, qui se manifestent actuellement
en souterrain dans la gestion de la crise – un rapport de force au sein du
pouvoir est aussi en cours). C’est bien une sorte de lutte sur le terrain
de l’hégémonie qui est en jeu, opposant deux classes dominantes : celle
liée à l’État kémaliste, tournée vers l’Europe, et celle liée à l’AKP,
conservatrice et pieuse, qui s’est attachée une part importante des classes
populaires jusque là marginalisées. Cela n’est pas anodin si les
manifestants pro et anti pouvoir arborent l’un comme l’autre le même
symbole, à savoir le drapeau turc. Il y a là une forte polarisation autour
de l’identité nationale.

4. Mais par delà de la question du « mouvement pour le mouvement », de ce
qui se joue en terme de rupture de la quotidienneté et de réappropriation
de la ville, les tensions au sein du mouvement ont été au cours des deux
dernières semaines multiples et latentes – et leur non-éclatement est à la
fois la force (l’unité « spontanéiste ») et la faiblesse du mouvement
(l’autolimitation).

Par exemple, sur la question de la violence. À la fois il est admis qu’il
est normal de résister face à la police ; à la fois le déroulé des
opérations est parfois surprenant. Mardi dernier, flics et manifestants
étaient face à face de manière statique derrière les barricades, et partout
autour, d’autres flics stationnaient par petits groupes, certains même
faisant la sieste, alors qu’autour d’eux d’autres manifestants circulaient
avec leurs masques à gaz. De manière générale les pratiques offensives à
l’égard de la police sont actuellement limites. L’affrontement demeure
défensif : il s’agit de continuer à occuper l’espace.

Il n’y a pas non plus vraiment d’actes de vandalisme. Les manifestants ont
donc le soutien des commerçants du quartier autour de la place Taksim,
eux-mêmes touchés par le processus d’ottomanisation du quartier (on
s’attaque par exemple aux terrasses des bars). Savoir que quand on se fait
gazer on peut se réfugier dans les échoppes et les hôtels, cela donne une
force réelle aux manifestants. Mais enfin, il s’agit là d’un quartier
plutôt huppé, qui par bien des aspects ressemble au Quartier latin à Paris.
Et rares sont les manifestants issus du quartier voisin de Tarlabasi,
quartier pauvre, kurde, gitan et menacé de gentrification présents sur la
place, cela alors même que les gaz se répandent dans leurs rues. Ce n’est
pas là leur lutte.

5. Pour autant, on ne peut réduire le mouvement à sa composante de jeunesse
middle-class  occidentalisée ; et de fait il y a là une frange que l’on
pourrait qualifier d’émeutière, qui relève paradoxalement de la frange
organisée du mouvement. Organisée, ou au moins expérimentée dans
l’affrontement avec la police. Ce sont eux qui ont défendu les barricades
qui protégeaient l’accès à la place jusqu’à mardi dernier ; ce sont eux qui
ont été les plus conséquents dans les affrontements avec la police ; ce
sont eux aussi qui sont ciblés par la répression.

Cette nébuleuse mêle les militants des organisations d’extrême gauche
turques et kurdes et les ultras (essentiellement les çarsi de Besiktas,
marqués « à gauche » et officiellement anarchistes). L’extrême-gauche a une
longue histoire en Turquie, faite d’affrontements souvent violents avec la
police et de répression ciblée. Elle a aussi une certaine assise sociale et
des liens avec les syndicats et les organisations kurdes, elles-mêmes
fortement imprégnées de marxisme-léninisme. La place Taksim a toujours été
un lieu symbolique pour les manifestations de la « gauche » en général, et
le réaménagement de la place vise aussi à empêcher ces manifestations (son
accès a été fermé pour le premier mai de cette année).

Pour la première fois, leurs pratiques se sont inscrites dans un mouvement
les dépassant. La rencontre est étrange et quasi-surréaliste. Les portraits
d’Attatürk (présents en masse) cohabitent pacifiquement avec ceux d’Öcalan
; les Loups gris (fascistes) se retrouvent à côté de la nébuleuse
marxiste-léniniste, et il a été décidé de ne pas les virer. L’unanimisme
comme la mystique de la « rencontre » véhiculent en ce sens un malaise
certain, d’autant que l’absence d’assemblée empêche l’expression des
antagonismes au sein de la lutte.

Au passage, ce mouvement semble aussi véhiculer une certaine autonomisation
des jeunes au sein d’organisations par ailleurs fortement hiérarchisées
(cela même chez les anarchistes « organisés » – pour les autres, il s’agit
essentiellement d’une identité politique un peu folklorique). C’est
particulièrement palpable chez les Kurdes : la direction du PKK (et la
branche officielle, le parti BDP) est demeurée fortement réticente à
rejoindre le mouvement, à un moment où des négociations poussées entre le
gouvernement et le PKK sont en cours ; cela n’a pas empêché nombre de
jeunes militants à participer activement aux affrontements.

6. Derrière la façade du drapeau turc arboré par ceux qui descendent dans
la rue pour la première fois pour défendre leur « mode de vie », un certain
refoulé est donc à l’œuvre. En qualifiant les manifestants de « vandales »
et de « terroristes », le pouvoir a soudé contre lui la foule des classes
moyennes occidentalisées, qui se sont sentis insultées et qui mettent en
avant qu’elles sont tout le contraire, portraits d’Attatürk à l’appui.
Pourtant le mouvement ouvre aussi certaines plaies de l’histoire de la
Turquie moderne, faite de l’écrasement des vandales et des terroristes.

La chose ne prend certes pas la forme d’une explosion sociale : beaucoup de
quartiers populaires (en particulier les nouveaux quartiers de la ville)
constituent même des soutiens importants du pouvoir actuel. De fait, la
manifestation de la question sociale au sein du mouvement, et en général
dans les luttes en Turquie, semble difficilement pouvoir prendre une
expression autre que politique et identitaire. La jeunesse kurde
désaffiliée quand elle se révolte arbore le drapeau du PKK ; les quartiers
où se manifeste une forte résistance face à l’État sont ceux tenus par les
organisations gauchistes (dans l’un d’entre eux, Gazi, situé à la
périphérie de la métropole, il y a des affrontements réguliers avec la
police depuis deux semaines).

Le caractère essentiellement démocratique de l’État où se déroule le
mouvement ne fait guère de doute – en ce sens il n’y a guère de comparaison
possible avec les formes des luttes au sein des révoltes arabes. Mais cela
doit pourtant être nuancé, d’une part par la stratégie de confrontation
adoptée par le pouvoir, d’autre part par cette construction spécifique de
l’État- turc et à l’absorption massive  de la question sociale par la
question nationale.

DNDF http://dndf.org/, 16 juin 2013

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[Brésil] O povo se acordo!!

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https://juralib.noblogs.org/2013/06/18/bresil-o-povo-se-acordo/

 50 ans qu’il n’y avait pas eu ça.

Au Brésil on ne l’attendait plus. Et pourtant. Un prétexte, l’augmentation
du billet de bus, et c’est toute la poudrière qui prend feu, 200 personnes
les premières manifs, 100’000 hier à Rio.

Comme un air d’insurrection contre l’immense mensonge qu’est le
gouvernement de gauche PT-FMI. La bourgeoisie pensait avoir endormi le
peuple avec cette propagande quotidienne sur le nouveau grand Brésil. 6e
puissance mondiale, la pauvreté qui diminue, le pays de l’avenir, les
classes moyennes qui augmentent, la consommation et tout le barratin.

La réalité est autre, pacification des Favelas ultra violente, conflit
agraire réglé par les milices des latifundarios, 5 millions de familles
sans terre, les peuples indigènes toujours autant menacés, une inflation
galopante, une corruption à tous les étages, un système de santé et
éducatif d’une qualité exécrable. Des riches de plus en plus riches et les
autres…

On pensait les Brésiliens amorphes, foot, samba, carnaval suffisait à se
peuple pour être heureux. Le réveil pour les élites doit être rude !

Le samba maintenant le peuple veut le danser avec la police, et les masques
du carnaval sont remplacés par des foulards rouges.

La démocratie PT-FMI et le vieil État  montrent leurs vrais visages,
fasciste, barbare. La police n’a pas changé depuis la dictature. L’État ne
fait que défendre les monopoles impérialistes et protéger la bourgeoisie
bureaucratique.

Le Brésil est pillé de ses richesses tandis qu’il se désindustrialise.
C’est une véritable semi-colonie.

Le peuple envahit l’assemblée législative de l’état du Rio de
Janeiro. http://www.youtube.com/watch?v=oHyfFeUT1-s

La police utilise des armes à feu. http://www.youtube.com/watch?v=ZhyJNOlb7TY

Le peuple sans peur

http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=A2D_9oN7y-M

Un manifestant blessé par balle.

Ils ne savent plus quoi faire, Dilma menace même de couper
internet http://portalatualizando.com.br/apos-reuniao-dilma-ameaca-tirar-internet-do-brasil-se-continuar-as-manifestacoes/

Un sondage sur une chaîne de télé s’est retourné contre elle. À la question
‘Êtes-vous pour les manifs ?’ une immense majorité a répondu ‘Oui’. Ils ont
donc décidé de changer la question : ‘Êtes-vous pour des manifs avec des
émeutes ?’ la réponse fut un ‘Oui’ à une grande majorité… Cela montre bien
le climat actuel au Brésil.

youtube.com/watch?v=7cxOK7SOI2k<http://www.youtube.com/watch?v=7cxOK7SOI2k

Maintenant il faut continuer et bâtir le mouvement populaire pour abattre
ce vieil État décadent, instaurer une nouvelle démocratie et le socialisme.

Auba vermelha https://aubavermelha.wordpress.com/, 18 juin 2013

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DU SON CONTRE LES VIOLENCES D’ETAT LE 21 JUIN DEVANT LA PRISON DE LA SANTE

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[Crache ta haine, Pas ton ADN] : Raison d’un refus ADN – rdv lundi 17-06

Hull-school-strike-1911

Pour rappel, rdv ce lundi 17 juin place J. Jaurès,
– 12h30 pique-nique tiré du sac
– 13h30 rassemblement au moment de la convocation au Tribunal
correctionnel pour Refus de prélèvement Adn.

Le Comité de soutien 37 contre le fichage ADN.

Ci-après, la lettre-ouverte jointe au dossier de F. (voir pièce-jointe) :

Raison d’un refus de prélèvement biologique

Je tiens ici à exposer le faisceau de raisons m’ayant amenée à contribuer
concrètement au refus du fichage ADN. C’est ce positionnement qui me
conduit une nouvelle fois en audience correctionnelle, ce lundi 17 juin
2013.

– Comme le dit la loi, le prélèvement de matériel biologique doit se faire
avec mon consentement. Or je ne peux pas accepter une telle chose, pour
toutes les raisons qui peuvent suivre. Le fichage Adn apparaît comme une
peine s’ajoutant aux précédentes.

– C’est une des ambiguïtés de cette loi. Mon consentement est nécessaire
pour le prélèvement mais le refus est répréhensible. La mise en place du
fichage Adn constitue un cercle infernal pour qui y est confronté. Soit je
consens à la peine et me laisse ficher comme suspecte potentielle. Soit,
comme j’en ai pris la décision, je refuse et je me retrouve poursuivie
comme délinquante, et regardée comme suspecte ; suspecte de vouloir cacher
des choses, autrement dit de ne pas être une personne transparente pour
l’oeil des puissants.

– Donner son ADN, au regard de l’acte de prélèvement, pourrait paraître
banal, mais c’est un acte définitif. Une fois l’empreinte effectuée et
informatisée, notre information génétique (quand bien même il s’agit d’une
combinaison d’extraits codés) se retrouve dans la grande banque de données
virtuelles, qui sont par nature volatiles (quand bien même celles-ci sont
sécurisées, accessibles sous condition, éventuellement retirables du
FNAEG).

– Malgré les précautions affichées dans les textes de loi et
positionnements du Conseil Constitutionnel, on ne peut que constater la
banalisation du fichage génétique. Ceci pour et grâce aux services de
police soumis aux directives (plans d’action de la Police Technique et
Scientifique) incitant à atteindre le fichage de 100% des mis en cause.
Avec actuellement plus de 2,2 millions de personnes fichées au FNAEG, ce
fichier est alimenté par plus de 25 000 prélèvements par mois en moyenne.
C’est bien à un processus de systématisation du fichage Adn auquel je
m’oppose avec d’autres.
Pour étayer, j’évoquerais les multiples extensions légales apportées au
FNAEG ; d’abord créé au motif qu’il permettrait de retrouver les criminels
sexuels récidivistes, il est aujourd’hui le fichier des condamnés et
suspects liés à 137 crimes et délits. L’exception du fichage devient la
norme. Il en est même, parmi les voix autorisées des milieux de la
Sécurité, des laboratoires d’analyse et des politiciens, pour appeler au
fichage de l’ensemble de la population (ainsi des propos de M. Estrosi,
rapporteur de la LSI qui a largement étendu le fichier en 2003). La
question posée à l’Assemblée Nationale par un député PCF en janvier 2013
va concrètement dans ce sens lorsqu’il demande l’extension du fichage au
FNAEG pour tous les délits au nom de la non-discrimination. Il est à
craindre qu’ensuite on envisage le fichage pour tout un chacun au nom de
cette même non-discrimination, entre personnes ayant un passif judiciaire
et celles qui n’en ont pas.

– Au regard des modifications déjà apportées au fichier FNAEG, on ne peut
garantir la finalité du fichier. Il est déjà passé de « fichier des
violeurs » à « fichier de délinquance de masse ». D’abord fichage
d’exception, le fichage au FNAEG devient une norme, et beaucoup de choses
(directives, recherche de résultat chiffrés, survalorisation de la « preuve
Adn », sollicitations et place prise par des laboratoires privés,
emballement sécuritaire, …) portent à ce que l’étendue du fichage ne
s’arrête pas là.

– La loi prévoit aussi de ne prendre en compte que des éléments d’ADN dits
« non-codants » hormis le sexe. Or plusieurs scientifiques attestent du
contraire, du fait notamment des avancées dans la recherche génétique ; je
renvoie à ce propos au témoignage en ma faveur de la généticienne
Catherine Bourgain. Les marqueurs utilisés (pris un à un et par
combinaison) pour le FNAEG renseignent sur les individus d’un point de vue
médical, physiologique, géo-génétique (donc sur son « origine ethnique »).
Il n’y a pas d’Adn non-codant, il n’y a pas d’Adn neutre ; la loi fonde
ses gardes-fous démocratiques sur un présupposé scientifique obsolète.

– Ce fichier ne garantit donc pas la préservation de nos vies privées. Un
seul magistrat est censé pouvoir le contrôler (alors que le fichier
augmente de 25 000 prélèvements par mois). La durée de conservation (40
ans) est inconsidérée ; on ne peut présumer des précautions de droit à
venir, ne serait-ce que du quart de siècle prochain, et on peut remarquer
sur 15 ans les évolutions du fichier déjà évoquée. De plus le nombre de
marqueurs utilisés (susceptibles d’être informatifs), déjà passés de 8 à
18, est porté à être augmenté, dans un souci de précision et du fait de la
baisse du coût des prélèvements. Face à ces incertitudes, la précaution
devrait prévaloir.

– Par ailleurs je me demande quelle menace importante présupposent les
autorités nationales pour justifier la mise en fiche d’extraits du
patrimoine génétique des individus. En l’occurrence, je considère que
cette mesure de fichage est disproportionnée par rapport aux faits
reprochés, en ce qui me concerne comme dans d’autres situations. Quelle
proportionnalité il y a à prélever tous les hommes d’un village
(Larmor-Baden début 2013) dans une enquête pour des feux de bâtiments ? De
même, dernièrement et localement, pour le fichage au FNAEG des jeunes pris
sur le festival Aucard de Tours avec des substances illicites type
cannabis sur eux ? Il en va de même pour ce qui me concerne.

– J’invoque donc la prise en compte de la proportionnalité des mesures de
fichage. Et je vis la demande de prélèvement ainsi que ces nouvelles
poursuites, comme un alourdissement des premières poursuites pour
violences sur agents. La première condamnation ne suffirait pas, il
faudrait encore, alors que les mois voire les années passent, soit subir
l’aliénation de mon patrimoine génétique en acceptant d’être fichée au
FNAEG ; soit comme c’est le cas, m’accuser d’une nouvelle délinquance, et
prendre encore une peine judiciaire pour cela. Ceci est une surenchère
dans la répression.

– Le fichage au FNAEG a cela de magique, ne pouvant être théoriquement ni
contraint ni systématique, de transformer tout individu qui y est
confronté, de présumé innocent en présumé coupable. Présumé coupable
faisant partie des fichés, donc suspects privilégiés pour toute enquête où
le FNAEG est sollicité. Ou présumé coupable de vouloir cacher quelque
chose, en tous cas coupable d’insoumission, donc potentiellement
justiciable, pour tous ceux qui refusent le prélèvement.

– La mise en oeuvre du fichage au FNAEG développe ainsi une logique
sécuritaire que je tiens particulièrement à dénoncer. Le fichage au FNAEG,
à grands coûts budgétaires que les autorités préfèrent attribuer à ce
genre de dispositif, participe d’un climat de suspicion généralisé néfaste
pour le vivre-ensemble.

– Au regard de l’affaire précédente qui me conduit pour une 2e fois devant
les tribunaux, je me demande bien à quoi pourrait servir le fichage de mon
Adn dans le FNAEG. La police a su même me trouver sans avoir à me faire le
moindre contrôle d’identité le jour même des faits reprochés. Et la prise
de mon Adn pour l’enquête, n’aurait sans doute rien apporté par rapport
aux accusations de coups de tête.

– De plus je ne peux avoir confiance quant à la bonne utilisation de mon
Adn quand je vois de quelle manière l’affaire pour laquelle j’ai été
condamnée a été traitée. Alors que le policier en civil qui m’avait
matraqué (lui-même le dit) n’avait aucun jour d’ITT (quand moi-même
j’avais eu 8 jours d’ITT), qu’il n’y a avait que son témoignage (pas même
celui d’un de ses collègues et aucun des nombreux témoignages en ma faveur
n’a été pris en compte), que la vidéo journalistique, malgré ce qui était
dit, ne démontrait rien concernant ses accusations, c’est quand même moi
que l’on juge coupable. Permettez moi d’imaginer alors que mon Adn puisse
être utilisé à mes dépens de la même manière.

– D’autant plus que l’Adn, c’est un peu le « vu à la télé » des enquêtes.
Survalorisé, il tend, dès lors qu’il est identifié sur un élément
d’enquête, à jouer le rôle de preuve indiscutable de l’implication d’une
personne. Cette idée que la seule présence d’un Adn peut éluder le reste
d’un raisonnement d’enquête porte à une grande méfiance.

– D’ailleurs malgré l’augmentation du nombre de fichés, le nombre
d’enquête résolues imputées au FNAEG reste très faible. En 2009 au
Royaume-Unis, où le fichage fonctionne un peu comme en France, et où il y
a déjà plus de 6 millions de fichés, le pourcentage d’enquêtes résolues
imputées au fichier ADN est de 1% (d’après l’Association des officiers de
police britanniques), et si l’on considère le fait qu’il n’y a pas d’autre
élément d’enquête que le fichier centralisé d’ADN ayant permis la
résolution, on tombe à 0,03% (d’après l’association britannique GeneWatch
se basant sur les même données). Pourquoi alors prendre cette mesure grave
de ficher autant de gens pour si peu de résultats dans les enquêtes ? A
l’inverse, nombre de gens se trouvent inquiétés, accusés à tort à cause de
l’identification de leur Adn au cours d’une enquête.

– Au regard de toutes ces raisons et des dérives que présentent le
développement du fichage au FNAEG, je tiens à dénoncer avec quelle
facilité on obtient l’Adn de milliers de gens tous les mois, contraints
par la suspicion, la peur des poursuites pour refus, la pression du
contexte de la garde-à-vue…  quand la loi spécifie que le prélèvement ne
peut être contraint.

– Mon patrimoine génétique m’est à la fois intime, constituant dans mes
tréfonds ma spécificité d’individu dont je n’ai pas conscience moi-même.
En même temps, il est cet élément de partage qui me lie mystérieusement et
organiquement à l’humanité et même au vivant dans son ensemble. C’est
pourquoi je ne peux tolérer de me le voir extrait, accaparé, collectionné,
mis en fiche, exploité, par quelque autorité qui soit, policière ou
scientifique.

– La prise de mon ADN pour le ficher au FNAEG est aussi violente et
violatrice de mon intimité que si dans un autre registre, une autorité
pouvait obtenir un codage d’une compilation de mes rêves inconscients.
Bien que je ne les « possède » pas, ils m’appartiennent en propre, et ces
données relèvent de mon intimité profonde. En cela, l’ADN relève de la vie
privée quand bien même il pourrait être utilisé à des fins de contrôle.

– Mon ADN concerne aussi les membres de ma famille, les membres de ma
parenté connue et inconnue. En fichant mon Adn, c’est un nombre important
d’autres personnes qui sont concernées, indirectement fichées. Ceci n’est
pas qu’une possibilité, c’est une réalité. La FNAEG a déjà été utilisé,
par la méthode de la « family research », pour remonter des ramifications
généalogiques (ainsi de l’affaire Elodie Kullick, évoquée dans le
témoignage de C. Bourgain) ; et intégrer au passage l’ADN d’autres
personnes au fichier.

– Si le fichage au FNAEG est indiqué par la loi pour 137 crimes et délits,
cela ne constitue pas une obligation. C’est pourtant à un emballement du
fichage auquel on assiste. Cette logique me semble néfaste pour notre
société.

– J’estime qu’il est important d’enrayer la mise en fiche et l’encodage
informatique du vivant et des populations. J’aspire à ce que l’on revienne
à une considération des choses à taille humaine, où l’individu n’est pas
qu’un matricule à contrôler sans cesse habité par la peur de le voir
dévier. Le vivant est bien plus large que ce que les volontés de
toute-puissance de quelques autorités sécuritaires et industriels en
biotechnologie aspirent à en faire, et c’est bien du côté de cette vie à
partager que je veux me placer.

– Peut-être alors suis-je coupable de quelque chose que tout pouvoir
exorbitant ne tolère et qu’il ne pourra vraiment taire dans aucune
population. En effet, mes désirs, mes intérêts, mes aspirations et donc
mes actes ne font pas corps avec ceux qui détiennent ce pouvoir et leur
désir sans limite de toute puissance sur leur population.

Puisse le tribunal respecter ces objections.
F.
Juin 2013

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[À bout de souffle] Devenir-minoritaire, transexualité et hétérocentrisme: entretien avec Éric Fassin

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Entretien radiophonique de 65min, réalisé par Emmanuel Moreira et diffusé par « La Vie Manifeste ».
Blog de Éric Fassein: http://blogs.mediapart.fr/blog/eric-fassin

Lors de notre 1ère rencontre (oct 2008), nous nous étions appuyés sur les
publications d’Eric Fassin, Judith Butler et celles de M.Foucault, pour tenter de
répondre aux questions contemporaines de genres et de sexualités : L’émancipation et
la fabrique du sujet, la critique de l’ordre symbolique érigé en vérité éternelle,
la déconstruction de l’idée que le sexe précèderait le genre. Enfin, nous nous
étions arrêté sur la question du désir pris dans l’échange marchand.

Pour cet entretien, nous convoquerons la pensée de G.Deleuze, avec deux archives. Il
s’agira du concept du Désir développé dans l’ »anti-oedipe » par Deleuze et Guattri
pour rebondir sur la marche des « trans et des intersexes » et sur la première
édition du « Paris pornfilmfest », festival de cinéma pornographique alternatif. Une
seconde archive sur « le devenir minoritaire et l’homme comme étalon majoritaire »
pour penser la figure de N.Sarkozy et ce que révèle la candidature Obama aux
Etats-Unis. Enfin nous nous arrêterons sur l’annulation d’un mariage à Lille pour
motif de « tromperie sur les qualités essentielle de l’épouse ».

Entretien disponible ici: http://laviemanifeste.com/archives/553
Entretien radiophonique de 65min, réalisé par Emmanuel Moreira et diffusé par « La
Vie Manifeste ».
Blog de Éric Fassein: http://blogs.mediapart.fr/blog/eric-fassin

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[ZAD à Tours] Invitation au jardin

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