Présentation du n°29 de Réfractions « Voies sexuelles, voix désirantes »

video : Procés de « L’invasion de la sexualité dans la vie quotidienne » 1971

Capture d'écran - 28012013 - 16_07_40

Quant aux sexualités… alors qu’on en parle tant, il faudrait croire qu’il n’y a
rien à en dire. Tout du moins rien de sérieux, rien de déterminant (ou alors d’une
manière strictement individuelle), rien de politique. La porte des cham­bres à
cou­cher, des backrooms, voire des don­jons (les­quels, quoi­que for­mel­le­ment
dis­tincts, recou­vri­raient une même fonc­tion), clô­tu­re­rait un uni­vers
propre. Tout ce qui serait vécu dans ce monde à part serait comme séparé des autres
sphè­res d’exis­tence. Hors de ces espa­ces clos, on ne pour­rait plus rien en
dire, sinon sur le mode de la confes­sion, dans des contex­tes plus ou moins
ins­ti­tu­tion­na­li­sés (confes­sion­nal, cabi­net…) ou sau­va­ges (entre
ami-es).

Ce qui a trait au « domaine de la sexua­lité » serait de l’ordre du privé. Et il
serait non seu­le­ment déplacé, mais dan­ge­reux qu’il pénè­tre l’espace public.
Une épaisse cein­ture de chas­teté se charge de pro­té­ger la poli­ti­que ! La
plu­part des mou­ve­ments défi­nis comme tels s’en satis­font d’ailleurs. Ils se
dis­tin­guent sim­ple­ment les uns des autres selon le degré de contrôle moral et
médi­cal qu’ils pré­co­ni­sent, sur une échelle qui va de l’ordre moral et de la
patho­lo­gi­sa­tion (l’idée que l’homo­sexua­lité n’est pas une « ano­ma­lie
men­tale » a été accep­tée à grand-peine et d’aucuns s’y oppo­sent encore) à
l’éthique mini­male d’un libé­ra­lisme absolu de mœurs.

Il arrive tou­te­fois que l’ensem­ble des dis­po­si­tifs fil­trants, per­met­tant
la dis­tinc­tion radi­cale entre public et privé, man­quent à leur fonc­tion. La
toni­truante affaire DSK en fut un récent exem­ple. L’effon­dre­ment évident de la
famille tra­di­tion­nelle, depuis la remise en cause (ou tout sim­ple­ment avec
l’impra­ti­ca­bi­lité) du modèle offi­ciel et domi­nant — bipa­ren­tal et
hété­ro­sexuel — jusqu’à l’appa­ri­tion de nou­vel­les formes d’orga­ni­sa­tion de
la vie sexuelle, affec­tive et sociale en est un autre.

L’économie capi­ta­liste a d’ailleurs bien com­pris tout le profit qu’elle
pour­rait tirer de ces trans­for­ma­tions. La vente de sex toys, de vidéos pornos,
de pos­si­bi­li­tés de ren­contres s’est lar­ge­ment mas­si­fiée au cours des
quinze der­niè­res années. Les sexua­li­tés dis­si­den­tes à
l’hété­ro­nor­ma­ti­vité ne font pas excep­tion. La plu­part du temps, elles
cons­ti­tuent elles aussi un marché, fût-il de niche. La 6e édition de Fierté
Montréal adop­tait l’été der­nier un étonnant logo : un code-barre arc-en-ciel…

*Une Histoire de la sexualité en anarchie :*
Mais les anar­chis­tes ne cons­ti­tuent pas davan­tage un monde à part, où les
ques­tions poli­ti­ques enga­gées par les sexua­li­tés seraient d’avance réso­lues
et où les idées reçues n’auraient plus court. En 1900, Emma Goldman renonça ainsi à
par­ti­ci­per au congrès inter­na­tio­nal anar­chiste de Paris après que toute
dis­cus­sion rela­tive à la sexua­lité et au contrôle des nais­san­ces en eut été
exclue. On ne sau­rait tou­te­fois nier que, dans son ensem­ble, le mou­ve­ment
liber­taire n’a cessé de com­bat­tre les tenants d’un ordre moral mor­ti­fère.
Mieux même : il a tou­jours été un vivier pro­pice aux expé­ri­men­ta­tions et aux
théo­ri­sa­tions nova­tri­ces liées aux sexua­li­tés. Dès l’ori­gine, William
Godwin dénon­çait en 1792, dans l’Enquête sur la Justice Politique, le mariage
comme étant un « mono­pole de la pire espèce », ce qui sou­leva l’indi­gna­tion de
ses contem­po­rains.

C’est d’abord de la conti­nuité de cette tra­di­tion de réflexion et
d’expé­ri­men­ta­tion que ce numéro de Réfractions tente de rendre compte, au
tra­vers d’un regard rétros­pec­tif sur plus d’un siècle de « sexua­li­tés en
anar­chie ». Les pre­miè­res expé­rien­ces com­mu­nau­tai­res du début du XXe
siècle (qui furent des formes de pro­pa­gande par le fait aussi en matière
sexuelle), la manière dont les fémi­nis­mes et ce que l’on a appelé la «
révo­lu­tion sexuelle » ont réa­gencé les termes du débat sur les sexua­li­tés dans
les années 1970, et enfin les réflexions déve­lop­pées dans le milieu liber­taire
actuel sur ce que signi­fie appré­hen­der en anar­chiste ses pro­pres désirs, tout
cela mani­feste le fait que nulle part ailleurs, sans doute, les pra­ti­ques
sexuel­les n’ont été envi­sa­gées ainsi comme por­teu­ses d’enjeux d’émancipation
et, à ce titre, de poli­ti­que.

 *Psychanalyse et libération sexuelle :*
La sexua­lité a certes pu être consi­dé­rée comme un domaine rele­vant d’un
dis­cours spé­cia­lisé. Depuis plu­sieurs décen­nies, c’est à la psy­cha­na­lyse
qu’est reconnue la mis­sion offi­cielle de parler du sexe. Certaines ten­ta­ti­ves
émancipatrices, visant la sexua­lité, se dirent même dans son voca­bu­laire. Ce
numéro a attri­bué une place à des expres­sions qui, à partir d’un enga­ge­ment
psy­cha­na­ly­ti­que et poli­ti­que, mani­fes­tent l’impos­si­bi­lité d’un
dis­cours spé­cia­lisé, clos sur lui-même.

* »Expression de voies sexuelles » :*
Mais pré­ci­sé­ment parce qu’il nous sem­blait peu per­ti­nent de pro­po­ser une
col­lec­tion de pos­tu­res idéo­lo­gi­ques sur la sexua­lité, ce sont
essen­tiel­le­ment d’autres voix qu’il nous impor­tait ici de donner à enten­dre.
Des voix qui n’adop­tent pas la pos­ture du « dis­cours sur la sexua­lité », mais
qui sont l’expres­sion de voies sexuel­les. Des voix dési­ran­tes qui disent leurs
pro­pres expé­rien­ces et leurs pro­pres luttes. Des voix qui, si mino­ri­tai­res
soient-elles, ne lais­sent pas de nous parler. Le les­bia­nisme n’est-il qu’une
option sexuelle où peut-il revê­tir une dimen­sion poli­ti­que propre ? Comment la
por­no­gra­phie peut-elle être un lieu de contes­ta­tion des repré­sen­ta­tions
domi­nan­tes, d’expres­sion d’autres désirs et d’expé­ri­men­ta­tion ? Que peu­vent
nous ins­pi­rer les luttes des tra­vailleu­ses du sexe ?
Deux textes en contexte concluent ce dos­sier. Ils s’ins­cri­vent dans le
mou­ve­ment de mobi­li­sa­tion sociale initié, au Québec, par la pro­tes­ta­tion
étudiante contre l’aug­men­ta­tion dras­ti­que des frais d’ins­crip­tion
uni­ver­si­taire. Ils don­nent à voir com­ment les ques­tions rela­ti­ves à la
sexua­lité s’ins­cri­vent dans une dyna­mi­que de contes­ta­tion géné­ra­li­sée,
mais aussi com­ment elles ne sont pas seu­le­ment des ques­tions posées, mais,
encore une fois, des expé­rien­ces vécues.
Tous les textes pré­sen­tés dans ce numéro par­ti­ci­pent, malgré leurs
diver­gen­ces théo­ri­ques, d’un même geste : ouvrir des pos­si­bles. En aucun cas
les débats où ces dif­fé­ren­tes pers­pec­ti­ves se ren­contrent ne sau­raient
abou­tir à quel­que point final que vien­drait poser on ne sait quelle théo­rie «
anar­chiste » de la sexua­lité. Il s’agit encore moins de dire com­ment les
anar­chis­tes doi­vent baiser ! Les mul­ti­ples pra­ti­ques expo­sées ici ne sont
que des exem­ples et pas des (nou­vel­les) normes. Elles dési­gnent des sites
cri­ti­ques d’où peu­vent surgir des poli­ti­ques mutan­tes. Parce qu’il recou­vre
un mou­ve­ment émancipateur qui se pense sur la tota­lité des choses, et pas
seu­le­ment dans l’action poli­ti­que consi­dé­rée d’une façon res­tric­tive,
l’anar­chisme infuse les sexua­li­tés. Et ces der­niè­res ne man­quent pas de lui
ren­voyer la pareille.
Et si, pour finir, les sexua­li­tés étaient un prisme à tra­vers lequel les
rap­ports entre spon­ta­néité pra­ti­que et réflexion théo­ri­que, tels qu’ils
pour­raient être conçus par les anar­chis­tes, se don­naient à voir ? Et s’il était
aussi absurde de parler d’une concep­tion anar­chiste de la sexua­lité que d’une
concep­tion anar­chiste de la société ou de la com­mu­nauté, parce qu’il n’y
aurait, malgré un hori­zon révo­lu­tion­naire commun à cons­truire, que des
pra­ti­ques d’émancipation diver­ses à expri­mer ?
Lien de la revue Réfractions : http://refractions.plusloin.org/
P.-S.
——

* Table des matières : Sexualités en Anarchie*
De la liberté en amour au début du XXe siècle, Luce Turquier.
« Libération sexuelle », féminisme et anarchie, Daniel Colson.
Désir : portes à enfoncer, Marie Pierre
Psychanalyse et libération sexuelle
Réflexions partielles et partiales sur la vision lacanienne de la sexualité, Alain
Thévenet
Sexe et politique, Jacques Lesage de La Haye
Les sexualités : terrains de luttes et d’expérimentations
Le lesbianisme politique, entretien avec Natacha Chetcuti
Inspirations des luttes xxx : cinq fabulations révolutionnaires, Amandine Guilbert
et Rémi Eliçabe.
Une aventure post-porno, Post-op.
En contexte Ce que le désir fait à la politique, discussion libre avec des membres
de la mouvance queer montréalaise…
Mille rencontres : de la nudité au masque, Andréann C.
TRANSVERSALE
hAcktivisme numérique ?, Ippolita
ANARCHIVE
De la bêtise et du vote, Gustav Landauer

A propos mediatours

Blog d'informations sur la ville de Tours et ses environs
Ce contenu a été publié dans Genre / Sexualité, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.