Cette brochure se veut un outil « d’autodéfense intellectuelle » : nous
proposons ici quelques pistes pour identifier les discours et les
pratiques de ce mouvement réactionnaire que l’on nomme le masculinisme, de manière à pouvoir mieux les repérer et les « démonter ».
Pour nous, tout a commencé à Grenoble, un soir de janvier 2011, où nous nous
sommes retrouvé.e.s quelques potes à la projection d’un documentaire
intitulé « Des hommes en vrai » (Des hommes en vrai, de Patrice Chilowicz,
2009) projection organisée par la mairie de Grenoble et en présence des
membres du Réseau Hommes Rhône-Alpes (voir la partie 1). Nous avons été
atterré.e.s par ce que nous avons vu et entendu ce soir-là, et nous avons
alors décidé de réagir. Nous avons commencé à mieux nous informer sur « le
masculinisme » et à mettre en place un travail de veille. Quelques mois
plus tard, nous avons organisé une soirée publique, histoire de diffuser
de l’information et de partager nos analyses.
Cette brochure est la retranscription de cet exposé, augmentée des
recherches que nous avons effectuées depuis. Ces pages sont à considérer
comme un travail « en cours », une étape dans nos réflexions autour de
l’anti-féminisme. Elle a été écrite collectivement, ce qui nous a demandé
un travail d’harmonisation conséquent. Aussi, si quelques maladresses
subsistent, merci d’être indulgent.e.s.
Le texte se découpe en quatre parties. D’abord une mise en contexte, au
travers de laquelle nous tentons une définition du masculinisme et
retraçons l’histoire de ce mouvement en présentant ses principaux acteurs.
Ensuite, deux parties thématiques où nous décortiquons les thèmes favoris
des masculinistes : « les pères bafoués » et « les violences subies par
les hommes ». Enfin, la dernière partie aborde la question de la prétendue
« crise de la masculinité ».
Quelles sont nos bases politiques et théoriques ?
Nous nous inscrivons dans une perspective de lutte contre le patriarcat, que
nous pouvons définir comme un système social dans lequel les hommes, en
tant que groupe, dominent les femmes. Cette domination passe notamment par
l’exploitation et l’appropriation des femmes par les hommes :
appropriation du corps des femmes (reproduction, sexualité), de leur
force de travail (prise en charge gratuite du travail domestique, de
l’attention et du soin portés aux autres).
Nos analyses sont donc issues de bases politiques féministes radicales et
matérialistes, courant du féminisme inspiré par la pensée marxiste et qui
pose un regard critique sur les positions du féminisme institutionnel.
Nous pensons que les rapports de domination hommes-femmes sont imbriqués
dans d’autres rapports de domination (des riches sur les pauvres, des
blancs sur les non-blancs, etc.).
Conservons à l’esprit qu’il existe plusieurs axes de domination qui
s’entrecroisent et gardons nous de croire que la domination masculine
disparaitra dès lors que la domination économique aura disparu. Les
rapports sociaux de sexe existent bel et bien en dehors des autres
rapports sociaux.
D’autre part, nous réfutons les théories essentialistes qui considèrent
qu’hommes et femmes sont différent-e-s « par nature » (ce qui revient à
dire que la biologie déterminerait nos goûts, aptitudes et comportements,
que l’inné prévaut sur l’acquis), qui ne font pas de différence entre sexe
et genre (cf. ci-dessous), et qui voient bien souvent hommes et femmes
comme ayant vocation à être « complémentaires dans la différence. » Nous
soutenons au contraire que la « différence des sexes » n’est autre qu’une
construction des dominants, prétexte à asseoir l’asservissement des
femmes. Car créer des catégories, c’est forcément créer une hiérarchie
entre ces catégories (Pour approfondir, on peut se référer aux travaux
éclairants de Colette Guillaumin, Nicole-Claude Mathieu, ou Christine
Delphy). L’infériorisation et l’oppression des femmes est bien un projet
politique. Et comme tout ce qui a été fait, ce projet peut être défait.
Nous réfutons également la nécessité de la bicatégorisation de l’humain
(le fait d’être considéré.e soit homme, soit femme) : il n’y a pas de
différences naturelles irréductibles entre hommes et femmes mais plutôt un
continuum des sexes (le sexe étant bien entendu ici comme le sexe
biologique). Personne ne nait « homme » ou « femme » ; nous sommes
pourvu.e.s de caractéristiques physiques qui se rapprochent plus ou moins
de la définition biologique « pure » de l’homme ou de la femme
(chromosomes, hormones et caractères secondaires qui leur sont associés,
morphologie, anatomie). Mais il existe une infinie variété de positions
possibles sur l’axe homme/femme de chaque caractéristique biologique.
Cependant, la bicatégorisation recouvre une certaine réalité…
construite. Car, dès notre naissance (plus précisément… avant même notre
naissance), nous sommes assigné.e.s à devenir soit homme, soit femme, et
nous grandissons en apprenant à nous identifier à des modèles et à se
fondre dans les moules confectionnés pour nous (les femmes sont douces,
aiment prendre soin des autres, sont endurantes / les hommes sont
puissants, de bons décideurs, savent fournir des efforts physiques
intenses). Ce sexe construit socialement (c’est-à-dire l’ensemble des
attentes socialement construites qui nous sont imposées en fonction de
notre sexe, et qui peuvent varier d’une époque et d’une société à
l’autre), c’est ce que nous appelons le genre.
Dans cette brochure nous employons les termes « homme » et « femme » : on
entend par là des personnes socialisées comme des hommes ou des femmes, et
placées dès la naissance dans des classes de sexe que la société distingue
et hiérarchise : la classe qui domine dans nos sociétés patriarcales,
celle des hommes, ou la classe qui est dominée, celle des femmes. Il ne
s’agit pas de considérer que ces catégories vont « naturellement » de soi,
qu’elles sont figées ou qu’elles conviennent à tou.tes. Certaines
personnes ne naissent ni homme, ni femme (on les appelle les intersexes).
D’autres, ne se reconnaissent pas dans le genre qu’on leur assigne à la
naissance. Certain.e.s décident de s’affranchir de ce genre et de
l’identité censée lui correspondre. D’autres, né.e.s avec les caractéristiques de l’un des deux sexes, font le choix de transformer leur corps.
Qui sommes nous ?
Notre petite équipe est mixte. Nous sommes conscient.e.s que des hommes ne
sont pas les plus légitimes pour parler des mécanismes d’oppression et de
domination masculines. Premièrement parce qu’ils ne vivent pas au
quotidien toutes ces pressions et ces violences. Et deuxièmement parce que
les opprimé.e.s ont une meilleure compréhension des ressorts de leur
oppression. Il ne s’agit donc pas, pour les hommes de notre groupe, de
parler à la place des premières concernées. Mais il nous semble pertinent
que des garçons prennent aussi la parole sur ce sujet, ce mouvement
s’adressant avant tout aux hommes… même si de nombreuses femmes – y
compris certaines identifiées comme « féministes » – peuvent être
sensibles à ces discours, voire les relayer.
En espérant que cette modeste contribution vous sera utile pour aiguiser
votre esprit critique et contre-attaquer les discours masculinistes que
vous ne manquerez pas d’entendre. Vigilance donc, et bonne lecture !
Et n’hésitez pas à nous faire des retours en nous écrivant par mail à
stop.masculinisme@gmail.com
La suite sur : http://lgbti.un-e.org/IMG/pdf/contre.le.masculinisme_web.pdf