CHOIX DE SOCIETE : EST-CE A LA JUSTICE DE TRANCHER ?

 

 

 PROCES EN APPEL DES 4 DE TOURS
CHOIX DE SOCIETE : EST-CE A LA JUSTICE DE TRANCHER ?

Lundi 30 janvier 2012, le procès en appel des 4 de Tours a bien eu lieu.
Le ministre de l’intérieur a porté plainte contre deux militants de SOIF
D’UTOPIES et deux de RESF 37. Ils sont accusés de « diffamation publique
contre une administration publique ».
Ces deux structures ont publié en février 2010 un communiqué de presse
intitulé « les baleiniers ». Ce texte faisait part de soupçons quant à
l’utilisation de fichiers de l’Education nationale (en l’occurrence
Base-élèves) à des fins policières afin d’organiser la chasse aux
familles sans papiers. Il comparait ces pratiques à certaines employées
par la police sous le régime de Vichy.
Comme lors de l’audience du 5 avril 2011 devant le tribunal
correctionnel de Tours, nous avons posé quatre questions à la Cour d’Appel.
* Est-ce que des individus, des structures ont le droit de faire part
publiquement de leurs soupçons sur d’éventuelles exactions, dérives de
la part de l’administration, de la police ou de la gendarmerie ?
* Peut-on faire des comparaisons historiques afin d’analyser les
évolutions actuelles au regard de l’expérience, notamment, du régime de
Pétain ? Précisons qu’une comparaison n’est pas un amalgame. Il est hors
de question de dire que Sarkozy c’est Pétain, etc. Comparer c’est
prendre en compte l’expérience historique que nous apporte, en
l’occurrence la période de Vichy, afin d’interroger notre passé pour
agir sur le présent et tenter d’envisager différents avenirs. Faire des
comparaisons et alerter est plus que nécessaire. Que le ministre ne soit
pas d’accord avec ce type de comparaisons, c’est son opinion. Mais
peut-il tenter d’en censurer d’autres, différentes de la sienne ?
* Est-ce que la justice va entériner le traitement inégalitaire de
l’Etat suivant qu’on soit notable ou manant ? Par exemple, Rocard
déclarait dans un interview publié sur le site de Marianne le 6/08/2010
: « La loi sur les mineurs délinquants passe de la responsabilité pénale
individuelle à la responsabilité collective. On n’avait pas vu ça depuis
Vichy, on n’avait pas vu ça depuis les nazis. » Villepin affirmait « Nul
ne peut oublier ce que la France a connu aux pires heures de son
Histoire. » (publié sur le site le Télégramme le 02/08/10)…
* Est-il normal, souhaitable de s’insurger contre la politique raciste
et xénophobe de l’Etat. Par exemple, comment qualifier la décision du
ministère de l’intérieur ordonnant, à travers la circulaire du 5 août
2010, la chasse aux Rroms ? Comment se fait-il qu’aucun fonctionnaire
(de l’administration, de la police et de la gendarmerie) n’ait refusé
d’exécuter cet ordre illégal ?
L’Avocat général a demandé à ce que les condamnations prononcées par le
Tribunal Correctionnel de Tours soient confirmées :
relaxe de la militante de RESF 37. Elle a nié avoir participé à la
rédaction et à la diffusion du texte incriminé ;
500 € d’amende avec sursis, 300 € de dommages et intérêts pour chacun
des trois prévenus et 3000 € conjointement pour les frais de justice.
Les deux militants de SOIF D’UTOPIES ont affirmé avoir participé à la
rédaction du texte incriminé et à sa diffusion. L’autre militant
déclarait avoir publié le texte sur le site de RESF 37.
6 heures d’audience pour en arriver là ? Et bien non ! Pendant ces 6
heures, les prévenus, les témoins ont, chacun de leur point de vue,
critiqué la politique de l’immigration. Ce fut un véritable procès
politique dénonçant le racisme et de la xénophobie d’Etat !
Reprenons quelques arguments développés par l’Avocat général. Pour
justifier le traitement discriminatoire de l’Etat, celui-ci affirmait
que les hommes politiques ont plus de droit de s’exprimer que les
individus lambda. Ainsi donc, seul le personnel de la caste politique
peut porter des propos diffamatoires. Cela confirme que la critique
politique ne doit être faite que par les professionnels que sont les
élus et responsables de partis reconnus par le système. Cela ne peut-il
conduire l’interdiction de conceptions anticapitalistes, comme
l’anarchisme ?
Mais surtout, ce magistrat affirme qu’on ne peut accuser la justice de
vouloir remettre en cause la liberté d’expression. En effet, il pense,
au regard de la démocratie, qu’il est nécessaire de pouvoir critiquer
l’Etat, la politique qu’il mène, mais pas les fonctionnaires !
On peut donc critiquer, condamner la chasse aux sans papiers,
l’expulsion et la destruction des camps Rroms, le fait que des familles
avec leurs enfants soient enfermées dans des camps de rétention, que des
traquenards soient organisés dans des préfectures, etc. Mais on ne peut
rien dire sur les fonctionnaires, les policiers ou les gendarmes qui
commettent ces actes que nous condamnons, parce qu’ils ne sont pas
responsables puisque soumis à leur hiérarchie. Ces hommes et ces femmes
de la fonction publiques ne font qu’obéir à des ordres. Voilà comment
le délit de bureau passe à la trappe !
Pour se défendre, Papon (secrétaire général de la préfecture de la
Gironde) et Eichmann, lors de leurs procès respectifs, ont nié leur
responsabilité, l’un de la déportation de juifs vivant en France et
l’autre de l’organisation des transports, à l’échelle européenne, des
déportés vers les camps de concentration et d’extermination. Ils n’ont
fait qu’obéir à des ordres venus de plus haut. Si l’on admet ce
raisonnement, on peut craindre que d’ici quelques temps des membres de
leurs familles respectives demandent leur réhabilitation, comme le font
actuellement des descendants de Louis Renaud (patron collabo des usines
du même nom).
Aujourd’hui, on peut exprimer notre opinion, notre sentiment, mais ne
rien faire de concret pour empêcher ce que nous condamnons. Pense mais
ne fait rien ! Voilà ce que signifie la liberté d’expression selon
l’Avocat général. Laisse l’Etat agir par l’intermédiaire de ses
fonctionnaires même si tu désapprouves certaines conduites. La relaxe
de la militante de RESF 37 est tout à fait cohérente avec la conception
de la liberté d’expression. N’ayant pas participé à la rédaction et à la
diffusion du communiqué incriminé, elle n’a donc pas agi ; elle en a
simplement partagé l’opinion exprimé.
Depuis les XVIIe et XVIIIe siècles, depuis les Lumières, on sait que ce
sont les êtres humains qui font l’histoire. Cette « …affirmation …
marque une rupture avec la pensée dominante dans toutes les sociétés
antérieures – en Europe et ailleurs – fondée sur le principe que Dieu,
ayant créé l’univers et l’être humain, est le  »législateur » en dernier
ressort. » (S. Amin, Modernité, religion et démocratie, Ed Parangon
2008, page 9) Cette conception de l’histoire est un des piliers de la
Modernité. La remettre en cause signifie l’abandon d’un des fondements
de la société dans laquelle on vit. On ne peut donc dissocier les
actions de l’Etat de celles des fonctionnaires participant à leurs mises
en œuvre. Comment estimer nécessaire d’accepter la critique de la
politique menée par l’Etat, notamment en matière d’immigration et ses
conséquences, si on ne peut aussi critiquer les fonctionnaires, les
policiers et les gendarmes qui la mettent en œuvre ?
Bien malgré lui, l’Avocat général a placé la cour d’appel devant
l’alternative, le dilemme, suivant :
soit la cour, nous condamne. Elle confirme la remise en cause, sans
doute involontaire de l’Avocat général, d’un des piliers de la société
bourgeoise, alors que l’institution judiciaire est chargée de la défendre ;
soit elle nous relaxe. Cela signifie que la Cour d’Appel déclare qu’elle
ne peut trancher un débat de société, un débat politique, un débat
philosophique. A moins d’admettre qu’il y a UNE vérité définit par
l’Etat et défendue par la Justice. Lorsque celui-ci estime détenir LA
vérité, les portes de l’Etat fort sont déjà bien entrouvertes.
Ces débats seront tranchés par le Cour d’Appel d’Orléans le 26 mars,
jour où elle rendra son jugement.

RELAXE DES QUATRE PREVENUS
DES PAPIERS POUR TOUS
LIBERTE DE CIRCULATION ET D’INSTALLATION
OUVERTURE DES FRONTIERES
FERMETURE ET DESTRUCTION DES CAMPS DE RETENTION

Tours, le 3/02/2012
Jean Christophe Berrier, Muriel El Kolli
deux des quatre prévenus de Tours
membre de SOIF D’UTOPIES
06 20 91 20 44
soifdutopies@yahoo.fr

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Une réponse à CHOIX DE SOCIETE : EST-CE A LA JUSTICE DE TRANCHER ?

  1. pour complèter dit :

    Communiqué de Chantal BEAUCHAMP, l’une des « 4 de Tours » :

    Je me serais volontiers dispensée du présent communiqué de presse, si 2 de mes camarades poursuivi-e-s dans la même affaire, Jean-Christophe BERRIER et Muriel EL KOLLI ne s’étaient cru autorisés à critiquer ma stratégie judiciaire dans leur communiqué du 3 février 2012 en des termes pour moi inacceptables.

    J’élimine d’emblée la première source de divergences :

    Depuis septembre 2010, le choix que j’ai fait, ainsi qu’Abd-el-Kader Aït-Mohamed, de soulever des « exceptions de nullités » devant le Tribunal correctionnel de Tours d’abord, devant la Cour d’appel d’Orléans ensuite, est un choix qui est critiqué depuis bien longtemps par les 2 autres prévenu-e-s. Pour moi, attaquer le choix du procureur de nous poursuivre est une des armes que j’ai choisie pour que la liberté d’expression soit garantie, c’est-à-dire pour que les procureurs ne s’aventurent plus à lancer des poursuites pour tout et n’importe quoi et dans n’importe quelle condition. Mes 2 co-prévenu-e-s restent jusqu’au bout insensibles à mes raisons. C’est leur droit le plus strict, et je respecte leur choix qui n’est pas le mien.

    Mais jusqu’au 3 février 2012, l’expression de ces divergences entre les 4 prévenu-e-s était cantonnée dans le cadre du débat d’idées légitime. Il en va différemment depuis que Muriel El Kolli et Jean-Christophe Berrier ont cru bon d’attaquer un autre aspect de mon système de défense, qui dénoterait chez moi la volonté de ne pas assumer ce pourquoi nous sommes poursuivis, à savoir un communiqué de presse diffusé le 12 février 2010 et dénonçant avec vigueur la chasse aux enfants étrangers scolarisés pour arrêter et expulser les parents. Cette pratique était décrite par analogie avec celle des chasseurs de baleines, qu’en leur temps les policiers du régime de Vichy avaient choisi comme modèle.

    Pour comprendre ce que, selon mes camarades du Collectif Soif d’Utopies, ils assument, eux, et que de mon côté je n’assumerais pas, il faut pénétrer dans la cuisine du Procureur de Tours.

    Sur quoi les poursuites reposent-elles ?

    Le Procureur de Tours nous a poursuivi parce que nous aurions distribué le texte résumé ci-dessus lors d’une conférence de presse le 18 février 2010. Or, nous avons tous les 4 fourni au Tribunal abondance de preuves du contraire – de sorte que ce chef d’accusation, la distribution du texte objet du litige, a été abandonné dès l’audience du 5 avril 2011 à Tours. Le 2ème chef d’accusation est d’avoir diffusé ce texte par voie électronique. Il me semble que l’accusation étaie ce point après avoir identifié l’adresse IP de Jean-Christophe, et après avoir identifié le propriétaire de l’un des sites web sur lequel le texte a été publié, le site du RESF37 qui est au nom d’Abd-El-Kader. Ni le Procureur de Tours ni le procureur général de la Cour d’appel n’ont identifié mon adresse IP dans cette affaire, et je ne suis pas propriétaire de sites web sur lesquels le texte incriminé aurait été publié. D’où leur embarras à me poursuivre. Des comptes m’ont été demandés sur la présence de mon numéro de téléphone personnel comme contact au bas du texte. J’ai expliqué qu’au RESF37, c’est moi qui avais le plus de disponibilités pour répondre aux questions éventuelles des journalistes avant ou après la conférence de presse. Cette réponse, que j’avais déjà donnée lors de l’enquête de police, n’était probablement pas suffisante pour justifier les poursuites contre ma personne.

    Un chef d’accusation supplémentaire apparaît lors de l’audience du 5 avril 2011

    En effet, lors de l’audience du 5 avril à Tours, puis lors de l’audience en appel le 30 janvier 2012 à Orléans, l’accusation a cru bon d’improviser un 3ème chef d’accusation, celui d’avoir rédigé ou contribué à rédiger le texte incriminé.

    Face à cette offensive du Parquet, ma réponse a été triple :

    1/ J’ai fait observer au tribunal correctionnel, puis à la Cour, qu’aucun de nous 4 n’était poursuivi pour avoir rédigé ou participé à la rédaction du texte.

    2/ J’ai réitéré ce qu’avaient été mes déclarations à l’officier de police judiciaire lors de l’enquête, à savoir que je n’avais pas rédigé ni contribué à la rédaction du texte. 3/ J’ai répété avec insistance et clarté, comme je l’avais dit dès les premiers mots de mon interrogatoire devant le tribunal de Tours et la Cour d’appel, que j’assumais la totalité du texte incriminé, forme et contenu, au nom de mon organisation, le RESF37.

    Si j’en juge par la décision du tribunal correctionnel de Tours en date du 26 mai 2011, ce dernier :

    a) Me relaxe au motif qu’il n’a pu établir, ni ma responsabilité personnelle dans la distribution du texte.Il a relaxé mes 3 autres camarades du même chef d’accusation et pour le même motif.

    b) Me relaxe au motif qu’il n’a pu établir ma responsabilité personnelle dans la diffusion du texte par voie électronique.

    c) Me relaxe car il n’a pu établir ma responsabilité personnelle dans la rédaction du texte.

    Assumer, ça veut dire quoi ?

    Qu’est-ce que ma relaxe personnelle par le tribunal correctionnel de Tours (mais le Procureur a fait appel de cette relaxe) veut dire concrètement ? Qu’en matière pénale (et les procès en diffamation sont des affaires pénales), il appartient à l’accusation, puis au tribunal, d’apporter les preuves des charges qui pèsent sur les prévenus. Autrement dit, la charge de la preuve appartient aux poursuivants, pas aux poursuivis. Je suis surprise (c’est un euphémisme) qu’il faille rappeler à des militants aguerris l’évidence suivante : que cette disposition de notre Code pénal est une garantie fondamentale des droits de la défense.

    Le fait que certains de mes camarades poursuivis aient cru bon de déclarer, soit à la police, soit au tribunal correctionnel de Tours, soit à la Cour d’appel, qu’ils avaient personnellement contribué à la rédaction du texte incriminé est un choix qui leur appartient de façon pleine et entière. Mais le fait qu’ils aient fait un choix différent du mien ne les autorise nullement à prétendre que leur choix serait plus juste politiquement que le mien. Il y a, derrière cette manière de faire (« plus radical que moi face à la répression, ça n’existe pas »), une confusion entre responsabilité personnelle et responsabilité politique. Je ne partage pas l’injonction selon laquelle, pour assumer politiquement un acte, il faille absolument et en toute circonstance se mettre personnellement en avant en proclamant « c’est moi qui l’ai fait ! » Avec de tels principes, il n’y a plus de place pour l’expression d’une vraie solidarité politique. Mes camarades de Soif d’Utopies disent en substance « Nous assumons, parce que c’est nous. » Je dis, moi : « J’assume, parce que c’est mon organisation, et qu’elle a eu raison. »

    Je laisse à chacun et à chacune le soin de définir, pour son propre compte, laquelle de ces deux attitudes lui parait la plus politique.

    Chantal BEAUCHAMP 5 février 2012

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