Camarades,
Les révolutions arabes, Occupy Wall Street et le reste des soulèvements
dans le monde depuis 2011 ; nous ont ouvert des portes supplémentaires pour
communiquer et réaliser que plus que jamais nos luttes contre l’état et les
structures de la domination sont interconnectées et identiques. Notre
combat contre la Bête est un. Vos luttes passées et présentes nous
informent et nous inspirent, comme nous savons que les nôtres vous
informent et vous inspirent. Pourtant nous avons encore un long chemin à
parcourir pour comprendre les uns les autres et renforcer notre combat
commun.
Notre collectif est un petit groupe de révolutionnaires : écologistes
radicaux, anarchistes, et féministes, et nous n’avons rien fait de
comparable avec les grands sacrifices de beaucoup de nos camarades
ailleurs. Mais nous savons que nous exprimons la pensée de beaucoup de nos
camarades du monde arabe ; depuis le Maroc jusqu’à la Syrie qui rencontrent
les mêmes dilemmes lorsqu’ils communiquent avec leurs homologues
occidentaux.
Nous savons que beaucoup d’actions positives sont menées un peu partout,
que des efforts sincères sont menés dans toutes les directions, que des
vies sont mises en jeu, mais nous avons aussi réalisé que la scène
anti-autoritaire en Occident, et spécialement en Amérique du nord, est
dominée par les limites d’une seule idéologie politiquement correcte. C’est
bien si les paramètres idéologiques et tactiques que vous choisissez
fonctionnent pour vous, mais ils ne fonctionnent pas pour tout le monde, et
ils ne marchent définitivement pas pour nous. Il est donc malheureux qu’au
cours de nombre d’échanges que nous avons eu avec des anarchistes
nord-américains (et dans une moindre mesure avec des anarchistes
européens), certains de nos camarades aient tenté de nous imposer leur
idéologie politiquement correcte.
C’est aussi malheureux que beaucoup de nos camarades occidentaux aient
intégrés le ton paternaliste de leurs gouvernements impérialistes, et le
réutilisent inconsciemment avec leurs camarades du tiers-monde. Trop de
fois, nous avons trouvé nos camarades en train de nous dicter avec qui nous
devrions nous allier, ou comment nous devrions traiter les causes qui nous
sont propres, comme l’islam politique, la révolution syrienne, les
tactiques anti-gouvernement et les organisations d’écologistes et de
féministes radicaux.
Nous apprécions les retours et les échanges, et nous pensons qu’il sont
désirables et nécessaires. Mais nous sentons qu’il y a beaucoup d’attentes
implicites quand au fait que nous devenions une autre version de vous, et
nous ne le voulons pas. Nous sommes à l’autre bout de l’équation celui qui
se mange des missiles autoguidés, des obus à l’uranium appauvri, et
l’impérialisme depuis des décennies. Nous pouvons vous le dire honnêtement,
quoi que vous ayez pu tenter, cela ne marche pas pour nous, et il semble
que cela ne marche pas bien pour vous non plus.
Nous vivons sous des régimes autoritaires depuis des dizaines d’années,
beaucoup d’entre nous sont radicalement anti-autoritaires par instinct ;
étudiants, ouvriers et artistes, pères et mères, jeunes et vieux. Presque
tous, parmi nous ont personnellement subi et survécu à la répression de
l’Etat ces dernières années ; mais la plupart d’entre nous ne s’identifient
pas comme anarchistes, spécialement cet anarchisme qui est toujours pour
beaucoup d’entre nous une idéologie fermée, blanche-eurocentrée avec son
cœur post-moderne.
Plus nous communiquions avec vous , plus nous découvrions que beaucoup de
mots chers à nos cœurs étaient confinés dans des définitions étriquées, et
étaient pour vous les sujets de querelles sémantiques sans fin. Et nous ne
sommes pas intéressés par la sémantique ou par gagner des gueguerres de
mots, ce qui nous intéresse c’est démanteler les conditions réelles et
matérielles de l’oppression et de l’injustice, nous voulons expérimenter au
delà des frontières de la politique classique et de ses « ismes » qui
dominent les scènes révolutionnaires à l’Est comme à l’Ouest depuis des
décennies.
Quand nous apprenons de vos luttes il y a beaucoup de choses qui nous ont
inspirées, mais nous avons aussi vu beaucoup de choses que nous ne voulons
pas reproduire. Même en vous observant depuis un autre continent, il est
clair pour nous que le mouvement révolutionnaire en Amérique du nord (et
dans une dimension moindre en Europe) est extrêmement sectaire, divisé,
dévoyé par les identités politiques et les querelles internes, et dans un
état d’hostilité constante par rapport à lui même et aux autres mouvements.
Nous avons vu une tendance récurrente à scissionner, à isoler vos
mouvements avec vos pseudos chefaillons et vos multiples collectifs, puis
avons lu que vous vous plaigniez à propos de l’absence de vision et de
direction globales du mouvement. Nous voyons une hostilité à l’égard de
toutes les formes d’organisation, une révérence presque religieuse pour
l’absence de structure, et une croyance dogmatique dans une seule forme de
prise de décision ( le consensus ). Nous voyons des identités politiques
foisonnantes et de formidables énergies gaspillées sur la foi d’arguments
théoriques dont personne n’a rien à foutre, et honnêtement nous ne
comprenons pas comme si les fumées qui s’échappent du cadavre brûlé du
monde obscurcissaient notre vision.
Nous avons vu beaucoup de misogynie, d’abus de drogue, de comportements
violents, abusifs, et horribles, qui restent sans contestation ni réactions
dans beaucoup de vos lieux.
Nous avons vu l’aversion contre la stratégie, ce qui mène les communautés
révolutionnaires à briser les mêmes vitres années après années sans
tactiques à long terme. Nous avons vu beaucoup d’énergies épuisées à
combattre des rouages non essentiels du système comme des chaînes de
fastfoods et des fabricants de chaussures de sport ; délaissant la lutte
contre les trois structures de base qui maintiennent le système en vie.
Nous entendons bien sûr par là les flux *d’argent*, *d’information*, et *
d’énergie* de ceux qui sont au pouvoir. Si vous manquez d’idées il y a une
installation de test de drones quelque-part dans le désert d’Arizona, juste
au cas où vous voudriez leur rendre visite…
Nulle volonté de notre part de nier vos efforts ou de saper votre
travail ; mais juste de vous mettre en garde contre la tendance que nous
avons vu parmi nos homologues occidentaux à niveler les mouvements radicaux
sous une idéologie politiquement correcte, qui diminue grandement la
vitalité du mouvement révolutionnaire. La pluralité des opinions, des
approches et des tactiques est nécessaire et désirable, et qu’importent les
étiquettes ou les tactiques qu’on préfère, tant que le monde brûle… Ceux
d’entre nous qui rêvent d’une planète vivable et d’une humanité juste sont
ensembles dans le même combat, contre le même ennemi.
Amour et Rage
Source https://tahriricn.wordpress.com/2013/05/17/lebanon-a-letter-from-radical-beirut-to-north-american-anarchists/
:Radical Beirut’s Team* via Tahrir-ICN https://tahriricn.wordpress.com/,
17 mai 2013