Six heures vingt du matin. Texto : l’expulsion du CREA est en cours. Je
suis réveillée.
[Parenthèse avant que je me laisse emporter par le feu de l’action :
c’est quoi, le CREA ?
Depuis un an et quelques mois, à Toulouse, c’est le Collectif pour la
Réquisition, l’Entraide et l’Autogestion, installé dans les locaux
abandonnés et réquisitionnés de l’AFPA pour y construire un centre
social autogéré (le CSA, qu’on appelle simplement le CREA par
commodité). Dans ce centre habitent neuf familles, soit une quarantaine
de personne dont quinze enfants. La majorité de ces familles est en
situation extrêmement précaire (immigrants, sans-papiers, etc).
Le CREA, depuis un an, c’est donc un lieu d’habitation. Il vient du
constat fait par plusieurs personnes que les structures de l’Etat qui
sont censées aider les précaires, personnes à la rue, etc, ne sont pas
efficaces. Il y a peu de place en hébergement, 95% des appels au 115
sont rejetés par manque de place en centres d’hébergement ou de moyens
pour payer les nuitées d’hôtel.
Le CREA a donc été créé comme un lieu de vie stable pour que ces
familles puissent trouver un endroit où vivre tranquillement sans être
transbahutés d’un service social à l’autre à la recherche d’une
solution. Et ça marche : pendant un an, le lieu a fonctionné en
autogestion (assemblées générales régulières des habitants du lieu,
décisions communes, etc) et sans argent. Tout se fait à partir de
récup’, de solidarité, de dons. Les enfants sont tous scolarisés, le
CREA devient un véritable lieu de vie ; on y trouve diverses activités
pour les enfants et pour les adultes (activités artistiques, cours de
langues, sport, échange de compétences…) et une stabilité dans la vie
en commun qui fonctionne au cours du temps, permettant au CREA de créer
du lien social, des solidarités, de l’entraide.
Le CREA n’a jamais demandé un centime de subventions.
Le bâtiment, au 70 allées des Demoiselles, appartient au Ministère du
Logement.et des Solidarités Sociales (ha, ha). Le ministère décide
d’engager une procédure d’expulsion contre le collectif, lance un
procès. La raison de cette volonté d’expulsion ? Il veut construire un
centre d’aide aux personnes précaires dans ces locaux (ha, ha).
Au cours de l’année, diverses personnes (policiers et autres)
s’introduisent dans le CREA pour en examiner la “sécurité”, pinailler
parce que le toit est vert de mousse et que cela mettrait en danger la
vie des habitants, en faisant un logement insalubre, tester le taux
d’amiante, vérifier que les portes anti-incendie s’ouvrent bien, casser
les autres portes de façon parfaitement illégale, et généralement
embêter les habitants.
À la suite du rendu de la décision du juge, le CREA est expulsable
depuis mi-août. Depuis avant la tenue du procès, les habitants du CREA
tentent de contacter la mairie, la secrétaire d’État au Logement, la
ministre, la préfecture, etc, tout cela sans réponse. Ce matin, la
préfecture publie un communiqué de presse dans lequel on peut lire ceci
: “les occupants ont toujours refusé les propositions de contact
formulées par les services de l’État”. ]
Il est six heures trente et je suis sur la route du CREA. Je me retrouve
devant un cordon de police qui m’empêche de passer. Je fais le tour pour
retrouver les autres personnes qui sont sur le pont des Demoiselles.
La situation ? À six heures du matin, les flics défoncent les fenêtres
du premier étage et font irruption dans l’immeuble. Les familles
arrivent à se mettre en sécurité ailleurs, restent quatre personnes qui
décident de monter sur le toit pour attendre.
Nous observons tout ça d’en bas. Quatre types sur le toit glissant (il
pleut), dont un assis à califourchon sur une poutre en métal qui
dépasse. Les pompiers se ramènent… pour prêter leur nacelle aux flics
qui veulent cueillir les mecs sur le toit. Ils montent la nacelle pour
voir et redescendent.
Pendant ce temps, les ouvriers arrivent. Leur travail est de murer le
bâtiment le plus rapidement possible pour que plus personne ne puisse y
rentrer.
Nous sommes toujours devant un cordon de flics, à crier des
encouragements à nos oiseaux perchés.
La compagnie qualifiée pour intervenir est normalement le GIPN, mais
aujourd’hui, innovation : ce sont des CRS alpins. Ils essaient de mettre
un crochet dans la gouttière à partir du 5ème étage pour monter surle
toit, mais ils n’arrivent pas à monter à l’échelle de corde. Pendant ce
temps, les types du toit enlèvent leurs cordes de sécurité, je suppose
que c’est pour obliger les flics à être un minimum prudents dans leur
gestes. Les flics font des gestes brutaux alors que les mecs du toit
risquent leur vie au moindre mouvement.
La nacelle remonte. Un flic arrive sur le toit par la lucarne, c’est le
négociateur. Y a-t-il négociation ? Non. Les trois mecs du toit ne
veulent pas se laisser embarquer, ils ne sont toujours pas attachés.
Celui de la poutre reste sur sa poutre.
Que font les flics pour embarquer les types qui ne veulent pas se
laisser embarquer ? Je vous le donne en mille : ils sortent un täser.
Ils täsent une personne sur le toit glissant, à une vingtaine de mètres
de hauteur, sans sécurité. Où le täsent-ils ? Au visage. Combien defois
? Cinq. (Dans la loi, l’utilisation du taser doit se faire « à
l’encontre des « personnes violentes et dangereuses», doit «rester
strictement nécessaire et proportionné », et seulement dans le cas de
légitime défense (article L. 122-5 du code pénal), l’état de nécessité
(article 122-7 du code pénal), ou en cas de crime/délit pour arrêter les
auteurs du délit.) Où est la personne violente et dangereuse dans un mec
assis sur un toit ? Où est la proportion dans le fait de répéter cinq
fois la décharge de täser ?
Les flics chopent ensuite ce gars et le font descendre pendu par les
pieds, tête la première, dans la lucarne, pour l’embarquer. Les deux
autres mecs du toit ont aussi résisté, on les emmène de façon musclée
(coups, étranglement) et on les fait descendre également tête en bas
pour les emmener au poste.
Pour protester contre cette violence inutile, les personnes qui étaient
là en soutien derrière le cordon de police décident de bloquer le pont.
Après environ une minute de blocage de pont (nous empêchons les voitures
de passer), les CRS, qui devaient s’ennuyer, depuis tout ce temps,
chargent sans sommation. Matraque au vent, flashball sortis. Nous sommes
trente, ils sont le double au moins. Nous résistons et tentons
d’encaisser la charge. Gros choc. Une dizaine de personnes se font
matraquer à tout va, ça tape dans les bras et dans les cuisses. Nous
courons pour nous enfuir. Je me retourne pour voir une copine entourée
de quatre flics qui la frappent avec leurs matraques sur les bras et les
jambes. Finalement nous nous enfuyons tous en courant pour souffler un
peu, prendre du recul et soigner les bobos. Beaucoup de bleus, quelques
bosses, pas d’arrestations.
Je publie cet article parce qu’aucun média n’a parlé de la violence
policière ni de la disproportion de toute cette affaire. Cinq ou six
médias différents étaient présents pendant tous ces évènements.La
majorité de ces médias se sont contentés de citer le communiqué de
presse de la préfecture et le point de vue de la police.
Je publie cet article pour livrer ma version des faits. Je tiens ce blog
seule, je n’obéis pas à la pression d’un rédac-chef ou à la
hiérarchisation des sujets selon le revenu publicitaire qu’ils doivent
apporter.
Au-delà de la révolte que cette violence suscite en chacun de ceux qui
la subissent, il importe de s’interroger.
Nous étions tout au plus quarante. Ils étaient deux cents
Une opération de ce genre coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros à
l’État.
L’État ferme chaque année des places en hébergement de SDF par “manque
de moyens.
Les trois mecs du toit sont restés une douzaine d’heures au poste. Chefs
d’accusation : outrage et rébellion. Ils ont : refusé d’obtempérer aux
ordres des CRS, et se sont accrochés à la cheminée pour ne pas
descendre. Ils n’ont pas eu de geste agressif envers les flics.
Les CRS qui sont intervenus sur le toit ont demandé cinq jours
d’interruption temporaire de travail à l’hôpital. Quand les CRS
demandent des ITT, on leur donne une prime (ça fait partie des risques
du métier de se blesser en frappant des gens, hein.). Il n’y a de toute
évidence pas de blessure qui justifierait cette ITT.
L’État expulse le CREA parce que le CREA sort de la logique qui veut que
nous ayons besoin de chefs et d�argent pour vivre. Le CREA montre de
façon éclatante que l’organisation et la solidarité sont possibles entre
nous et créent des espaces de vie que l’on n’aurait jamais imaginés
autrement.
Pour qu’il y ait un tel empressement à l’expulsion et des mensonges
aussi gros à propos du supposé “projet” pour le bâtiment, c’estbien que
le CREA dérange. Que les pauvres qui s’organisent entre eux dérangent.
Il faut donc les dégager à coup de matraque.
Merci, gouvernement socialiste.
(S’il vous plaît, faites tourner ce texte.)
Pour les médias de merde, vous savez utiliser un moteur de recherche
aussi bien que moi.
https://sharedwanderlust.wordpress.com/2012/08/28/sale-temps-pour-les-pauvres/