Comment la propriété intellectuelle a transformé les Jeux olympiques en
cauchemar cyberpunk
Extrait
« A première vue, il y a assez peu de rapports entre les Jeux olympiques de
Londres et
les univers dystopiques du cyberpunk, tel qu’ils ont été imaginés à partir
des
années 80 dans les romans de William Gibson ou de Bruce Sterling, à partir
des
premières intuitions de Philip K. Dick ou de John Brunner.
>
A bien y réfléchir cependant, le dopage dont le spectre rôde sans surprise
toujours sur ces jeux 2012 est déjà un élément qui fait penser au
cyberpunk, où
les humains cherchent à s’améliorer artificiellement par le biais d’implants
bioniques ou l’absorption de substances chimiques.
>
Mais c’est plutôt à travers la gestion des droits de propriété
intellectuelle par le
CIO que l’analogie avec le cyberpunk me semble la plus pertinente et à
mesure que se
dévoile l’arsenal effrayant mis en place pour protéger les copyrights et
les marques
liés à ces jeux olympiques, on commence à entrevoir jusqu’où pourrait nous
entraîner
les dérives les plus graves de la propriété intellectuelle.
>
Une des caractéristiques moins connues des univers cyberpunk est en effet
la place
que prennent les grandes corporations privées dans la vie des individus.
L’article
de Wikipédia explicite ainsi ce trait particulier :
>
Multinationales devenues plus puissantes que des États, elles ont leurs
propres
lois, possèdent des territoires, et contrôlent la vie de leurs employés de la
naissance à la mort. Leurs dirigeants sont le plus souvent dénués de tout
sens
moral. La compétition pour s’élever dans la hiérarchie est un jeu mortel.
>
Les personnages des romans cyberpunk sont insignifiants comparativement au
pouvoir
quasi-divin que possèdent les méga-corporations : ils sont face à elles
les grains
de sable dans l’engrenage.
>
Dans les univers cyberpunk, les firmes privées les plus puissantes ont
fini par
absorber certaines des prérogatives qui dans notre monde sont encore
l’apanage des
Etats, comme le maintien de l’ordre par la police ou les armées. Les
corporations
cyberpunk contrôlent des territoires et les employés qui travaillent pour
elles
deviennent en quelque sorte l’équivalent de « citoyens » de ces firmes, dont
les
droits sont liés au fait d’appartenir à une société puissante ou non.
>
Pour les JO de Londres, le CIO est parvenu à se faire transférer certains
droits
régaliens par l’Etat anglais, mais les romanciers de la vague cyberpunk
n’avaient
pas prévu que c’est par le biais de la propriété intellectuelle que
s’opérerait ce
transfert de puissance publique.
>
Des opposants aux Jeux qui détournent le logo officiel de l’évènement.
Vous allez
voir que ce n’est pas sans risque sur le plan juridique…
>
Pour défendre ses marques et ses droits d’auteur, mais aussi être en
mesure de
garantir de réelles exclusivités à ses généreux sponsors comme Coca-Cola, Mac
Donald’s, Adidas, BP Oil ou Samsung, le CIO a obtenu du Parlement anglais
le vote en
2006 d’un Olympics Game Act, qui lui confère des pouvoirs exorbitants.
L’Olympics
Delivery Authority dispose ainsi d’une armada de 280 agents pour faire
appliquer la
réglementation en matière de commerce autour des 28 sites où se
dérouleront les
épreuves et le LOCOG (London Organizing Committee) dispose de son côté d’une
escouade de protection des marques, qui arpentera les rues de Londres
revêtue de
casquettes violettes pour s’assurer du respect de l’Olympics Brand Policy.
Ils
auront le pouvoir d’entrer dans les commerces, mais aussi dans les « locaux
privés »,
et de saisir la justice par le biais de procédures d’exception accélérées
pour faire
appliquer des amendes allant jusqu’à 31 000 livres…
>
L’Olympics Game Act met en place une véritable police du langage, qui va
peser de
tout son poids sur la liberté d’expression pendant la durée des jeux. Il
est par
exemple interdit d’employer dans une même phrase deux des mots « jeux »,
« 2012 »,
Twenty Twelve », « gold », « bronze » ou « medal ». Pas question également
d’utiliser,
modifier, détourner, connoter ou créer un néologisme à partir des termes
appartenant
au champ lexical des Jeux. Plusieurs commerces comme l’Olympic Kebab,
l’Olymic Bar
ou le London Olympus Hotel ont été sommés de changer de noms sous peine
d’amendes.
>
L’usage des symboles des jeux, comme les anneaux olympiques, est strictement
réglementé. Un boulanger a été obligé d’enlever de sa vitrine des pains
qu’il avait
réalisés en forme d’anneaux ; une fleuriste a subi la même mésaventure
pour des
bouquets reprenant ce symbole et une grand-mère a même été inquiétée parce
qu’elle
avait tricoté pour une poupée un pull aux couleurs olympiques, destiné à
être vendu
pour une action de charité ! »