Nous publions ci-dessous un texte écrit par plusieurs militants
ayant participé au week-end de résistance du Chefresne contre la THT.
Du 22 au 24 juin dernier a eu lieu un week-end de résistance à la
construction de la ligne THT (Très Haute Tension) Cotentin-Maine. Ce
week-end s’inscrit dans la continuité de réflexions, d’informations et
d’actions collectives menées depuis plusieurs mois. Les deux premiers
jours étaient consacrés à des échanges entre locaux et militants-es
antinucléaires venus-es d’un peu partout ; le dimanche étant une journée
d’action dont la finalité était double, à savoir rendre visible cette
résistance et saboter l’avancée des travaux sur la ligne THT.
Retournons plus précisément sur cette journée :
Deux cortèges sont partis du camp, l’un marchant vers la mairie du
Chefresne, l’autre vers les pylônes. Ces deux cortèges étaient totalement
solidaires, en lien permanent, et poursuivant la même volonté politique.
Au sein de ces deux cortèges nous étions une vingtaine de personnes, toutes
antinucléaires, à s’être constituées comme un groupe « médical » autogéré en
capacité d’assumer les premiers secours. Nous tenons à bien préciser que
nous n’étions pas là en tant que prestataires de services, mais bien en
tant que personnes participant activement a la construction de la lutte
collective contre le nucléaire et son monde.
Au sein même de cette équipe médic, nous nous inscrivons dans une
perspective politique d’échanges et de transmissions de savoirs et
pratiques, rejetant les notions d’experts et de spécification des tâches.
Nous écrivons ce texte afin de faire un constat précis des événements et
de dénoncer les violences « policières » assumées et préméditées par la
préfecture de la Manche qui ont eu lieu ce dimanche 24 juin. Parce que
cette journée n’est ni à oublier ni à banaliser, et qu’elle marque une
nouvelle fois l’impunité et la monstruosité militaire, il nous semble
important que ces constats et ces dénonciations soient diffusés largement
aussi bien au cercle antinucléaire, aux professionnels en contact
avec les victimes, qu’à n’importe qui ayant à faire aux forces de l’ordre.
Cela, à la fois en solidarité avec nos amis-es et à visée
d’auto-médiation.
Les moyens utilisés par la gendarmerie, outre les effectifs évidemment
conséquents,
étaient tous employés en vue de nuire et de blesser avec une détermination
forte, pensée et assumée.
Pour le cortège se dirigeant vers les pylônes THT était déployé un arsenal
comprenant des grenades explosives dites assourdissantes ou de
désencerclement, des
grenades lacrymogènes et des matraques. Les tirs, au lance grenades ou à
la main, étaient sciemment dirigés vers les personnes, arrivant au niveau
du visage le plus souvent. Rappelons que les grenades sont mortelles
lorsqu’elles sont lancées à tir tendu (pratique interdite par la loi), ce
qui était le cas et qui devient une norme.
L’attaque a débuté de façon immédiatement brutale (à environ 200m du camp)
avec des blessés-es graves dès la première charge, et n’a pas diminué
d’intensité même lors de notre repli vers le camp. Et même lorsque des
cordons de sécurité étaient constitués par nous-même autour de nos
blessés-es et qu’ils signalaient verbalement aux bleus la situation, les
charges et les tirs ont continués exactement avec la même violence.
L’autre cortège a essuyé des tirs de grenades lacrymogènes, sans
sommation, au bout d’à peine quelques centaines de mètres de marche, ce
qui a entrainé son repli immédiat.
En ce qui concerne les blessés-es :
une personne a été blessée à l’œil de manière très grave, elle a été
transférée d’un hôpital périphérique au CHU de Caen le jour même, sa
vision est largement amputée par une hémorragie du vitré et le pronostic
est réservé quant à la récupération de son acuité visuelle.
une personne a subit un traumatisme crânien grave avec atteinte de l’œil
suite à un tir tendu de grenade, il a été opéré le soir même. Il souffre
d’une triple fracture du massif facial et la rétine de son œil a été
touchée par la violence du choc. Sa vision est également altérée de
manière irréversible à 1/20ème.
Ces deux personnes ont nécessité une évacuation en urgence. Or, la
préfecture a volontairement saboté l’arrivée des véhicules médicalisés sur
le camp. Les consignes étaient données de bloquer le premier véhicule
médicalisé à quelques dizaines de mètres du camp. Une journaliste présente
sur les lieux a constaté ce blocage par un cordon de gendarmes, ce qui a
certainement permis son lever. Le deuxième a carrément été réquisitionné
par la gendarmerie.
Ces deux victimes ont donc attendu plus d’une heure trente. Peut-on parler
d’autre chose que de cynisme et de sadisme ?
une autre personne a eu une plaie importante au niveau du front (coup de
matraque), ayant nécessité des points de suture.
Les blessés-es restants (environ 20) sont consécutifs aux multiples
explosions de grenades assourdissantes et de désencerclement. En
explosant, des impacts métalliques se logent dans les chairs en profondeur
jusqu’à plusieurs centimètres sous la peau, sectionnant potentiellement
nerfs et artères.
Ainsi, une blessée a été transférée au CHU et 15 éclats ont été constatés
(jambe os, genou, vagin, sein, bras). L’un d’entre eux a carrément
sectionné un nerf de l’avant bras. Elle a été opérée (ce qui ne signifie
pas qu’on lui ait retiré tous les éclats de son corps) mais garde des
séquelles motrices et sensitives des doigts.
Les autres gardent leurs éclats dans leur corps, ce qui n’est pas sans poser
problème, à court comme à long terme. A noter : le médecin régulateur du
SAMU, avec qui nous étions en lien, était harcelé par le chef de cabinet
de la préfecture afin de fournir les identités des blessés-es et leur
hôpital de destination. Si lui et d’autres soignants-es s’en sont tenu au
secret médical, des employés-es de l’hôpital d’Avranches ont sciemment
communiqué avec la gendarmerie préférant être indic plutôt que soignant…
Chapeau les collabos !
Des policiers étaient également en faction devant certains hôpitaux du
coin. Il a aussi été signalé de véritables barrages policiers (en ligne
sur la route avec tenue de combat) arrêtant tous les véhicules et
contrôlant les identités. Et ils ont même été jusqu’à surveiller l’entrée
du CHU de Caen où deux fourgonnettes et « une ligne » de gardes mobiles
attendaient sur la voie d’accès. La répression prime clairement sur
l’assistance.
Enfin, malgré la solidarité entre nous tous, le sentiment d’effroi laisse,
pour certains-es d’entre nous, des marques dans nos psychés qui mettront
du temps a cicatriser… Marques façonnant, mais n’effaçant rien de notre
désir de révolte.
Notre propos n’est pas « de pleurer sur notre sort » car nous savions dans
quoi nous nous impliquions. Nous ne sommes pas dupes, la France est un
État policier qui montre son vrai visage quand on s’attaque à ses piliers
fondateurs, notamment l’industrie nucléaire. Certes cela n’est pas
nouveau, mais mérite d’être rappelé sans cesse. L’état ne supporte pas sa
contestation, et avoir du sang sur les mains ne lui fait pas peur. Et ce
texte a pour but d’informer, encore et toujours, que la violence étatique
n’est pas que symbolique, mais s’incarne aussi dans le corps de
nos compagnes et compagnons touchées-s.