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La pilule et le féminisme d’Etat./
Le coup de maître du régime pharmacopornographique est d’avoir utilisé les
rhétoriques révolutionnaires du mouvement féministe des années 60 afin de faire passer la nouvelle gestion pharmacopornographique du corps pour une étape de la libération sexuelle (dans le cas de la pilule). Parallèlement, le féminisme abolitionniste confie la gestion de la production de représentations pornographiques et du marché de la prostitution à l’Etat en exigeant l’abolition de la prostitution et la pénalisation de la pornographie . (Le cas le plus représentatif de l’utilisation du féminisme comme technique étatique de contrôle de la prostitution et de la pornographie a eu lieu dans les années 90 au Canada, où l’Etat sollicite les rhétoriques féministes pour mettre en place sa politique abolitionniste.)
Dans le cas de la pornographie, le résultat de ces mesures est la réduction de
l’industrie du sexe à une économie souterraine, la marginalisation et la
paupérisation de ses travailleurs. Concernant la « politique de planning familial »,
le résultat est l’administration massive d’oestrogène et de progestérone à toute
bio-femme en âge d’être fertile. Nous pouvons affirmer, non sans une certaine
angoisse, que le féminisme libéral abolitionniste a pu fonctionner comme un des
appareils idéologiques para-étatiques du régime pharmacopornographique. Dans cette
situation, il ne nous reste que peu d’options : il est nécessaire de mettre en
pratique un féminisme moléculaire et post-pornographique contre le féminisme d’Etat.
Il faut se réapproprier la grammaire et les techniques dont le féminisme libéral
nous a spoliés pour déclencher une nouvelle révolution pharmacopornographique.
Comme méthode contraceptive, le féminisme aurait pu décréter obligatoire la
masturbation technique, promulguer la grève sexuelle des femmes hétérosexuelles et
fertiles, le lesbianisme de masse, la ligature des trompes obligatoires dès
l’adolescence, l’avortement libre et gratuit, voire l’infanticide, si nécessaire.
Une scénario encore plus prometteur : il était possible, d’un point de vue
biotechnologique, d’exiger l’administration à toutes les femmes en âge de tomber
enceinte d’une microdose mensuelle de testostérone, à la fois comme contraceptif et
comme méthode de régulation politique du genre. Cette mesure en aurait terminé une
fois pour toutes avec les différences sexuelles et l’hégémonie hétérosexuelle. Cela
ne signifie pas que les biofemmes (testostéronées) auraient cessé de baiser avec les
biohommes, mais cet acte n’aurait pas pu continuer d’être interprété comme purement
hétérosexuel. Il n’aurait eu aucune fin reproductrice ; en outre il n’aurait plus été question de la rencontre entre deux personnes de
sexe opposé, mais plutôt de sexe gay avec possibilité de pénétration vaginale. Le
féminisme de l’après-guerre aurait aussi pu s’intéresser à la gestion du corps des
biohommes et déclarer d’intérêt national : la castration, l’homosexualité,
l’utilisation obligatoire du préservatif, l’obturation du canal séminal,
l’administration généralisée d’une androcure (qui diminue la production de
testostérone chez les biohommes), etc. Oui, il y avait d’autres possibilités, mais
le féminisme libéral a conclu un pacte avec le système pharmacopornographique.
*Beatriz Preciado: /Testo Junkie/ / 2008*