Partons donc de cette question naïve : existe-t-il aujourd’hui des
prisonniers politiques dans les pays dits démocratiques et en particulier
en France ? La réponse est plus complexe qu’il n’y paraît. En première
approche, les démocraties ne reconnaissent pas le statut de prisonniers
politiques, du moins en leur sein. Ainsi, le Conseil de l’Europe a
déterminé ce statut selon cinq critères dont s’inspire le droit
international.
1) Détention imposée en violation des libertés fondamentales (pensée,
conscience, expression, association).
2) Détention pour des raisons politiques sans rapport avec une
infraction.
3) Disproportion pour des raisons politiques entre la durée ou les
conditions de détention et la gravité de l’infraction.
4) Discrimination d’une personne par rapport à d’autres pour des raisons
politiques
5) Irrégularité de la procédure de jugement pour des raisons politiques.
Pour être considéré comme un prisonnier politique, le détenu doit remplir
au moins l’un des cinq critères. De ce point de vue, les deux notions
semblent être comme l’huile et l’eau, s’il y a un statut de prisonnier
politique, c’est qu’il n’y a pas de démocratie et inversement. Le
raisonnement est le suivant : il ne peut pas y avoir de prisonniers
d’opinion dans une démocratie, puisque chacun y est libre d’exprimer cette
opinion. Du fait de ce droit d’expression, le recours à la violence ne peut
pas être considéré comme possédant une forme de légitimité politique.
Dans un régime autoritaire où le pouvoir en place censure le jeu des
opinions pour empêcher l’émergence d’un contre-pouvoir, la violence peut
être conçue comme le seul moyen d’exprimer une opposition politique. Au
contraire, si cette expression est toujours possible – dans l’affrontement
des discours qui a pour but le consensus démocratique – alors la violence
est hors jeu. La violence qui ne provient pas de l’ordre démocratique
retombe donc nécessairement sur le droit commun, sa répression par
l’emprisonnement n’est pas politique mais simplement pénale.
[…] Cette allergie du démocratique pour la violence politique doit nous
interroger sur les potentialités autoritaires de ce régime comme dictature
ou hégémonie du consensus sur le dissensus ou le conflit. Tout ce qui
menace l’ordre démocratique et social ne peut qu’être perçu et traité comme
une manifestation criminelle et pathologique, placé sur un autre plan que
celui de la contestation politique.
[…] D’une certaine manière, l’existence de prisonniers politiques, et donc
d’une répression politique, est inacceptable pour une démocratie parce
qu’elle en dévoile les carences et les mensonges. Elle réagit alors par le
déni, la violence et l’exception.
[…] Partant de cette réflexion sur le statut de prisonnier politique en
démocratie, *Hunger *propose une représentation des jeux entre le pouvoir
et la résistance dans les démocraties libérales et biopolitiques. Le film
montre parfaitement l’ambiguïté de ces deux figures de la politique : La
biopolitique comme gestion des vivants avec le consensus comme outil et
finalité, et la politique comme contestation de l’ordre établi avec le
dissensus comme arme et l’affrontement comme présent et horizon.
*[…] **Hunger *n’est pas un film sur l’enfermement. C’est un film sur la
résistance et le pouvoir, sur le corps comme révélateur des technologies de
pouvoir. La plupart du temps, les protagonistes des films de prison
cherchent à s’évader. Ce n’est pas du tout le cas ici. Ce microcosme ne
représente pas tant un lieu d’exception, qu’il n’est une représentation
accentuée du fonctionnement normal de la société.
Extrait du texte « Sur le film *Hunger, ou la question des prisonniers
politiques en démocratie » parut dans la revue APPAREIL par Olivier
Razac.
(Lien hypertexte: http://revues.mshparisnord.org/appareil/index.php?id=1245)*