Il est autour de 1h du matin ce vendredi 16 novembre 2012 quand une
voiture de la police de proximité s’arrête au niveau du 150 avenue
Daumesnil (Paris 12ème). Nous sommes alors deux sur le trottoir juste
devant la permanence du Parti Socialiste. Et sur les murs de celle-ci,
quelques inscriptions au marqueur et une série d’affiches sont apposées là
pour soutenir la lutte contre le projet d’aéroport à
Notre-Dame-des-Landes. Trois flics débarqués du véhicule entreprennent de
nous interpeller et font un inventaire (avec photographies) des «
dégradations », avant de crachoter dans leur talkie-walkie : Delta, Oscar,
Mike
On nous embarque. Motif invoqué : « Outrage à personne dépositaire de
l’autorité publique » (Article 433-5 du Code Pénal). Il semblerait que
l’inscription « Ayrault-porc, nous serons ta Bérézina » relevée sur la
façade soit à l’origine de l’inculpation. Et il semblerait même que les
policiers nous ont pris en flagrant délit de l’avoir fait. Pourtant,
personne n’écrivait sur ce mur lorsqu’ils sont arrivés. Et nous nous
trouvions juste là, en pleine contemplation de l’œuvre.
Alors que je suis déjà menotté dans la voiture, la radio de celle-ci
annonce que nous allons être transférés dans les locaux du Service
d’Investigation Transversale, situés rue Riquet dans le 19ème. Ça me
rappelle quelque chose : http://paris.indymedia.org/spip.php?article7092
Et voilà que les deux voitures de police qui nous emmènent sont lancées à
toute blinde sur les avenues de Paris, manquant à chaque intersection de
tuer un cycliste pour être certains de ne pas dépasser les délais légaux
imposés par la procédure. Précisons qu’arrivés à mi parcours, les flics de
la première voiture se rendent compte qu’ils ont oublié les marqueurs sur
le rebord de fenêtre de la permanence socialiste. Retour – très – rapide
avenue Daumesnil : ce serait bête d’oublier les pièces à conviction…
Arrestation + 30 minutes : transfert au SSIT (Paris 19ème)
1h15, on est placés en garde-à-vue. Un flic présent dans le hall
m’écrabouille la mâchoire parce que j’ai osé ne pas me taire quand il m’a
demandé de la boucler. Mise en condition. On nous place bientôt en cellule
: retrouvailles avec les clapiers qui puent la pisse. D’autres gars sont
déjà là, accusés de cambriolage. Forcément, c’est aussi une des
spécialités du SIT d’enquêter sur ce type d’affaires, en plus des
violences urbaines, des phénomènes de bandes, du racolage et de certaines
affaires sensibles incombant à la Direction de la Police Urbaine de
Proximité (DPUP).
Bientôt, nous retrouvons l’OPJ sorti d’un vieux film anglais qui sévit
toujours à cette adresse. Nous avons chacun une avocate qui nous assiste
pendant l’audience. Nous n’avons rien à déclarer, l’OPJ s’ennuie. Mais il
reste flegmatique, placide, pose ses questions de routine et imprime son
PV qu�il nous demande de signer. Pas envie de signer, on retourne en
cellule. Plus tard, on nous demande aimablement si nous souhaitons donner
notre ADN. Que dalle, on refuse. Un nouveau chef d’inculpation apparaît
dans notre procédure : « refus de se soumettre à un prélèvement biologique
» (Article 706 du Code Pénal).
Arrestation + 11 heures : transfert au 27 boulevard Bourdon (Paris 4ème)
Alors qu’on est enroulé dans les couvertures dégueulasses de la taule
Riquet pour résister au froid, quatre flics en civil viennent nous tirer
de nos cellules pour nous emmener dans les autres locaux du SIT près de
Bastille. Dans la voiture, la flique assise entre nous deux, Alison, écrit
des sms à son collègue Olivier concernant des clés de bagnole, tandis que
ses collègues nous demandent la raison de notre interpellation. Un autre
nous précède en moto.
Toujours menottés, on nous sort de la voiture et on nous fait entrer par
la petite porte arrière du commissariat située rue de l’Arsenal, puis on
nous colle dans deux cellules juxtaposées du poste de police. Un flic
d’accueil nous explique gentiment comment utiliser le robinet et le wc
turc qu’il y a dans chaque cellule. En tout cas les cellules sont plus
propres et moins glauques qu’à Riquet. Mais une taule reste une taule.
Quelques temps après, entretien avec nos avocates respectives et nouvelle
audition, cette fois-ci avec Alison et en présence des avocats encore une
fois. Elle nous demande d’expliquer notre version des faits, à savoir
quand et comment nous nous sommes trouvés devant la permanence du PS et si
oui et de quelle manière nous en avons gribouillé les murs. Autant dire
qu’on n’a pas grand chose à déclarer. Elle nous interroge aussi sur nos
raisons de refuser de tourner le coton-tige dans notre bouche. Elle nous
sort l’argument classique du « si c’était ta fille qui s’était faite
violer, tu serais contente qu’on retrouve le violeur avec son ADN ». Que
dire ? Évoquer la question du totalitarisme, du contrôle total de la
population au nom de la prévention du crime ? Je me tais, c’est mieux.
Mais à la rigueur on s’en fout, c’est la suite qui est croustillante. Et
j’y viens.
Dans l’après-midi, coup d’éclat. On nous notifie une supplétive de
garde-à-vue : dix nouveaux chefs d’inculpation s’ajoutent à ceux d’outrage
et de refus d’ADN. Quelqu’un quelque part a suggéré aux braves agents du
SIT de nous interroger sur dix autres faits de dégradations commis à
l’encontre de différents locaux du Parti Socialiste entre le 28 octobre et
le 10 novembre ! Que de faits d’armes à notre actif !
Arrestation + 17 heures : prolongation de la GAV de 24 heures
L’enquête a pris soudainement une autre dimension. Mon camarade de galère
est emmené à son domicile pour une perquisition. Et après 19 heures, alors
qu’il a été ramené en cellule et que le procureur a décidé du prolongement
de notre garde-à-vue, le SIT prend congé de nous pour une longue nuit de
silence. Toutes les cellules sont occupées et la nuit apporte de nouveaux
voisins, certains interpellés pour bagarre, d’autres pour état d’ivresse.
Les loquets des autres cellules claquent, des gens passent et repassent
dans le couloir, puis finalement le sommeil finit par venir.
Arrestation + 32 heures : seconde perquisition
Je suis réveillé vers 9 heures du matin par Nicolas, Grégoire, Jerome et
Ken, quatre flics du SIT qui viennent m’emmener en perquisition à mon
domicile. Pas de mandat, puisqu’on est dans le cadre d’une enquête de
flagrance. « Flagrance », ça veut dire que la police fait ce qu’elle veut
dans un délais de 7 jours suivant l’arrestation en flagrant délit. Ils ont
trouvé ma vraie adresse (que je ne leur avais pas donné) et foncent à
travers la capitale ensommeillée pour aller fouiller mon appart. En cours
de route, je leur fait remarquer qu’il font le boulot d’une police
politique et leur demande ce qui peut bien motiver une perquisition si ce
n’est la recherche d’éléments sur mon appartenance politique, éléments qui
intéresseraient bien la DCRI ou la SDIG, mais n’ont pas grand chose à
faire dans une enquête sur des « dégradations légères ». Ils me répondent
qu’ils sont à la recherche « d’éléments préparatoires » (en gros,
d’indices permettant d’attester que les inscriptions auraient été
préparées chez moi). Quand je leur demande quels types d’éléments peuvent
être pris en considération, le silence me répond, éloquent. Mais au
demeurant, l’équipe de flics qui m’accompagne est bien sympa. Trop à mon
goût.
Ils sonnent, réveillent ma copine qui ne s’y attendait pas trop (elle
dormait). Ils font intrusion dans notre appart avec leurs grosses godasses
et commencent à fouiller le salon après m’avoir permis de faire un brin de
toilette. Tout les intéresse. Ils ouvrent toutes les boites, portes,
tiroirs, s’étonnant du rangement. L’un d’eux s’arrête sur le bouquin « La
force de l’ordre » de Didier Fassin, tandis qu’un autre prend des photos
d’affiches politiques sur mes murs. Autant dire qu’ils sont satisfaits de
trouver sur la table des tracts et affiches en rapport avec la ZAD : sans
doute les éléments préparatoires qu’ils cherchaient. Ils en profitent pour
prendre des documents personnels permettant de retracer mon parcours
politique et l’ensemble de mon matériel informatique (trois pc contenant 4
disques durs, plus 2 disques durs externes, plusieurs clés USB, un
camescope…). Puis, alors que je crois la perquisition terminée, ils
partent fouiller le véhicule d’une copine dont j’avais emprunté la clé et
qui avait été localisée par l’un de leur collègue la veille (si ça ce
n’est pas de l’espionnage digne d’une police politique !). Dans le coffre,
ils trouvent deux bombes de peinture blanche et jaune et un flacon de
peinture rouge : d’autres « éléments préparatoires ». Ils prennent la
voiture en photo et on s’en retourne boulevard Bourdon. Autant dire que la
gardienne de l’immeuble n’était pas du tout étonnée de me voir passer
menotté et entouré de quatre flics.
Arrestation + 38 heures : avec les flics informaticiens de la BEFTI
Après la pause de midi et alors qu’on s’assoupit dans les cellules, on me
fait monter au troisième étage du commissariat, où deux flics de la
Brigade d’Enquête sur les Fraudes aux Technologie de l’Information (BEFTI)
sont venus en renfort du SIT. Là, tout le matériel informatique saisi dans
nos appartement est passé au crible à l’aide du logiciel EnCase Forensic
for Law Enforcement et d’appareils de blocage en écriture. Tous les
fichiers, y compris préalablement supprimés, sont extraits et analysés à
partir de mots clés en rapport avec les faits de dégradation : « parti
socialiste », « zad »… Toutes nos photographies et documents personnels
passent sous les yeux des techniciens-flics, qui démontent et analysent
nos ordinateurs pendant plusieurs heures. Ce qui les intéresse est gravé
sur un CD rom et ajouté aux scellés.
Arrestation + 40 heures : ultime audition
La dernière audition porte sur les faits commis à l’encontre des
différents locaux du PS au cours du dernier mois. On nous demande de
commenter. On n’a évidemment rien à dire, puisqu’on n’y était pas. Et puis
Jérôme, le flic qui m’interroge et fait preuve d’une évidente sympathie
pour nous (mais sert quand même le pouvoir), tente d’en savoir plus sur
mes idées politiques, feignant la discussion informelle « hors audition ».
Il tente quelques incises, parlant d’acratie (absence de pouvoir),
d’anomie (absence de règles), d’anarchisme de droite, citant Kropotkine et
un poète anarchiste, attendant de moi que je donne mon avis. Mais hélas
pour lui, le contexte n’invite pas à la discussion. Je n’ai rien à
déclarer. Derrière le gars sympa (et semblant sincère) se cache un flic,
ne jamais l’oublier.
Arrestation + 44 heures : fin de la GAV et transfert au dépôt du Palais de
Justice
Vers 20 heures on nous notifie la fin de notre garde-à-vue et notre
transfert dans les quatre heures vers le dépôt du Palais de Justice de la
Cité. On nous dit que notre matériel informatique nous sera rendu dans les
trois jours, excepté les peintures, quelques documents et nos portables,
qui restent sous scellé (un service spécialisé sera chargé de déterminer
où étaient nos portables les soirs des 28 et 31 octobre, 1er, 4, 7 et 10
novembre).
Alors que nous dormons, vers 1 heure du matin une équipe de flics de la
police de proximité vient nous chercher pour nous amener à Cité. Dans le
fourgon, l’une des flique fait par à sa collègue de sa déception d’être
avec nous au lieu d’intervenir sur une bagarre, exprimant son envie de «
cogner sur quelqu’un » : la finesse des équipes de nuit…
Peu après, nous sommes placés en cellule dans le dépôt du Palais de
Justice, une grosse prison avec plus d’une soixantaine de cellules
alignées sur deux étages, avec des coursives comme à Fresnes. Tout est
clean depuis que le dépôt a été rénové en 2010 et après que le Conseil de
l’Ordre des avocats avait dénoncé son insalubrité en 2009. Mais l’endroit
reste affreusement glauque.
Arrestation + 57 heures : transfert vers la cage des déférés
Après avoir été réveillé dans la nuit pour une nouvelle tentative de
prélèvement biologique, nous sommes réveillé vers 9 heures du matin pour
être emmenés un par un avec un quinzaine d’autres personnes à travers la «
souricière » (couloirs souterrains ressemblant à la ligne Maginot)
jusqu’au Palais de Justice, menottés et accompagnés chacun d’un gendarme.
Placés ensuite dans une cage collective sous la bonne garde d’un groupe de
gendarmes, nous attendons un entretien avec l’assistance sociale censée
établir nos garanties de représentation (si nous sommes socialement
intégrés), puis avec notre avocat et enfin avec le procureur qui doit
décider de notre sort.
Arrestation + 62 heures : passage devant le procureur et remise en liberté
Peu avant quinze heures, on passe devant ledit procureur après avoir
poireauté près de cinq heures dans la cage des déférés (autant dire qu’on
a eu le temps de faire connaissance avec tous nos compagnons d�infortune :
escrocs, bagarreur/euses, utilisateur/trices de faux papiers). L�entrevue
avec le procureur dure cinq minutes, juste le temps de se voir remettre
une convocation en justice pour le 16 janvier 2013 à 9h00 devant la 24ème
chambre du TGI et une fiche de sortie du dépôt.
Retour au dépôt, remise de nos fouilles. On peut enfin sortir, après 62
heures enfermés pour des dégradations légères !! Précisons qu’entre temps
l�inculpation pour outrage a disparu des chefs d�inculpation et que le
tribunal ne semble pas retenir (pour l�instant) les faits commis sur les
autres permanence PS au cours du mois passé. Heureux de savoir que
l’ensemble de mes données personnelles sont passées entre les mains des
flics�pour rien !
Que cherchaient vraiment les flics du SIT ? En quoi l�accumulation
d’éléments relatifs à nos appartenances politiques et une perquisition à
notre domicile permettent-elles de déterminer notre participation à des
dégradations ?
Ça suinte le procès de mauvaises intentions…
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[Trouvé sur l’Interstice le 19 novembre 2012]
[Note de cestdejatoutdesuite : Nous reprenons une brève et un de ses
compléments d’information parus sur Indymedia Paris les 17 et 18 novembre
2012.]
17 novembre
“GAV prolongée + perquisition pour 2 militants anti aéroport”
Les deux militants arrêtés hier [vendredi 16 novembre] sont actuellement
perquisitionnés a leurs domiciles et leurs GAV a été prolongée de 24h !
Saisie de tout le matériel informatique et autres documents.
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18 novembre 21:13
Ils sont sortis ce dimanche à 15h du Tribunal de Grande Instance, où ils
avaient été transférés vers 1 heure du matin après 48 heures de GAV aux
commissariats rue Riquet (vendredi), puis boulevard Bourdon (samedi).
Au cours des deux jours précédents, leurs domiciles ont été perquisitionné
et l’ensemble de leur matériel informatique passé au crible. Leurs
téléphones portables restent sous scellé.
Entre 1 heures et 10 heures ils étaient maintenus dans la souricière du
dépôt du TGI, puis transférés dans les cages destinées au déférés en
attente de voir le procureur.
Désormais libres, ils sont néanmoins convoqués le 16 janvier 2013 devant
la 24eme chambre du TGI pour dégradations et refus de prélèvements
biologiques (empreintes digitales, photo et ADN).
Un compte rendu plus précis sera publié par la suite. Merci pour le soutien.
http://cestdejatoutdesuite.noblogs.org/2012/11/19/paris-arrestation-de-2-personnes-le-16-novembre/