Surprise ! Après avoir fait la sourde oreille aux critiques de ceux qui
s’indignaient de voir le rappeur Orelsan sur l’affiche d’Aucard, Radio
Béton décide maintenant d’organiser le « débat » sur ses ondes. Débattre
de l’opportunité d’inviter Orelsan à un festival qui a déjà eu lieu, voilà
une belle initiative démocratique, comme on les aime ! Depuis le « cause
toujours » du référendum sur la constitution européenne on n’avait pas
fait mieux… Mais assez de mauvais esprit ! Puisque débat il y aura,
faisons une petite piqûre de rappel, en attendant ce grand moment
d’introspection, à n’en pas douter très autocritique qui sera servi
prochainement aux auditeurs de « Béton ».
Le 7 juin dernier, donc, le festival Aucard de Tours, organisé par cette
Radio, offrait sa scène au rappeur Orelsan.
La programmation de cet artiste « bankable » ne peut se résumer à un parti
pris musical. Un tel choix n’est pas neutre, il relève d’une prise de
position idéologique. Car à travers ses textes, ce rappeur fait l’apologie
violente du machisme et de l’homophobie. En l’invitant, Radio Béton a
délibérément choisi de légitimer ce beau message, mais aussi de lui
apporter la caution d’une étiquette « alternative ».
Mettons à Radio Béton le nez dans sa programmation, en resituant le
personnage :
Dans un texte autobiographique intitulé « Sale Pute », le talentueux
chanteur s’en prend à la femme qui vient de le quitter. Il la couvre
d’insultes sexistes dégradantes, la menace de l’avorter à l’opinel, de lui
casser un bras. Il lui demande comment elle sucera quand il lui aura
déboité la mâchoire. Ces quelques extraits ne sont qu’une petite partie du
texte, qui avait créé la polémique lors de sa sortie en 2009. Sur son site
internet, Radio Béton se glorifie pourtant de l’avoir soutenu à cette
époque. Quand on sait qu’Orelsan lui-même s’est senti obligé de présenter
des excuses publiques, comment ne pas être affligé de ce soutien,
aujourd’hui encore revendiqué haut et fort par « Béton ».
On pourrait voir dans « Sale Pute » (et le soutien de la radio) un
dérapage isolé. Il n’en est rien ; aucune remise en question n’a suivi le
rétropédalage concédé par le rappeur sous la pression médiatique. Lire les
textes récents d’Orelsan permet de s’en convaincre. Cette chanson, loin de
n’être qu’un accident de parcours, fournit au contraire un texte
particulièrement représentatif des idées qu’il diffuse. En 2012, lorsque
Radio Béton choisit de le promouvoir à travers son festival, l’homophobie
et le sexisme sont toujours au cœur de son répertoire. Un fond de commerce
assumé dans des textes violents, à l’image de la chanson « Saint
Valentin » : « Tu s’ras ma petite chienne et je serai ton gentil maître
(…) suce ma bite pour la Saint Valentin ». Ou encore, le texte intitulé
« Changement » : « Les gars s’habillent comme des meufs, et les meufs
comme des chiennes, elles kiffent les mecs efféminés comme si elles
étaient lesbiennes ». Autre exemple sans équivoque, extrait du morceau
« Suicide Social » : « Pour prouver que t’es pas homophobe faudra bientôt
que tu suces des types ». Ces exemples sont trop nombreux pour être cités
de façon exhaustive, passons à la suite.
Pour justifier la violence et l’indigence intellectuelle de cet artiste,
ses défenseurs sortent du chapeau la parade miracle. Les textes ne
seraient en fait que du « second degré », de la « provocation », de
l’humour ! Facile, cet argument n’en est pas moins d’une parfaite mauvaise
foi. Orelsan n’affiche pas la moindre distance ou ironie vis-à-vis de ses
propos. Les seuls à pouvoir déceler ce prétendu second degré sont donc
ceux qui veulent absolument le voir. C’est bien pratique, cela permet de
garder la conscience tranquille à travers un petit arrangement avec la
réalité. On peut se mettre les œillères qu’on veut, les textes violents
d’Orelsan ne disent rien d’autre que ce qu’ils disent : la femme est une
merde, un simple objet sexuel, elle a la violence qu’elle mérite, et les
pédés et les gouines sont des sous-humains méprisables. Message
humoristique, bien sûr ! Que Radio Béton banalise et sponsorise avec
complaisance.
Allez, prenons les devants et mettons sur le tapis le probable deuxième
argument massue de la défense : la liberté d’expression ! Vaste blague.
Qui conteste à Orelsan sa liberté d’expression ? Personne, pas même nous.
Et cette liberté d’expression, il l’a avec ou sans Béton. Promu sans
retenue par tous les canaux du business musical, qui lui a décerné deux
victoires de la musique cette année, jouissant d’une large exposition
médiatique et publicitaire, Orelsan est tout sauf une victime de
l’oppression. En cautionnant le rappeur, Radio Béton ne peut donc
sérieusement prétendre défier aucune censure.
Qu’elle assume alors son choix : promouvoir un produit de la sous-culture
ambiante, largement dominante, et surtout avoir fait pas mal d’entrées sur
le nom d’un artiste controversé, dont l’idéologie pue le caniveau, mais
reconnaissons-le très vendeur, donc financièrement très rentable ! Radio
Béton se targue d’être une radio alternative… Mais alternative à quoi ?
Visiblement, pas à l’oppression machiste, pas à l’homophobie, pas à
l’industrie musicale. Bref, pas à la norme dominante, hétérosexuelle,
patriarcale et marchande.
Invoquer la liberté d’expression, c’est raté, tout comme tombe à l’eau le
« c’est-de-la-provoc-subversive-du-second-degré-pour-dénoncer-bref-c’est-ironique-quoi-tu-vois ».
Alors, quels seront les arguments de Béton dans ce « débat » ? Va-t-on
nous dire que la domination masculine existe depuis le fond des âges, dans
un ordre immuable des choses, ou que l’homosexualité est contre-nature ?
Va-t-on appeler à la rescousse le sémillant Eric Zemmour, pour nous
expliquer en duplex que face au féminisme castrateur qui dévore
insidieusement la société, Orelsan se pose en nouvelle alternative virile,
porte-parole salutaire des sans-voix de la gent masculine ?
On verra bien en écoutant… Espérons simplement que d’ici là, la prog
musicale de cette antenne continuera à nous faire découvrir d’autres
savoureux nouveaux talents de l’alternative musicale… Radio Béton n’est
pas une pute qui vend son cul… Oups ! C’est du second degré bien sûr !
À bas le sexisme, l’homophobie et le patriarcat. À bas l’alternative de
façade.