[A bas la démocratie] Nous ne voulons pas être des étudiants


http://fr.contrainfo.espiv.net/2012/05/12/nous-ne-voulons-pas-etre-des-etudiants-nous-sommes-des-delinquants/

*Prologue*

Ceci est un pamphlet. Ce n’est pas un livre, ni un petit livre, ni un
cahier, ni un petit cahier, c’est un pamphlet. Il ne prétend pas, loin de
là, d’ être objectif, ni de créer le consensus. Ses prétentions sont
beaucoup plus grandes, ainsi nous ne comprenons pas pourquoi nous devons
faire les modestes quand nous pouvons aspirer à ce qu’il y a de mieux.
Qu’est-ce que c’est le mieux ? Nous ne voulons pas avoir de limites. Nous
ne savons pas si nous en avons ou pas, mais précisément ceci n’est pas la
question, car nous ne DÉSIRONS pas avoir de limites, nous voulons nous
déchaîner. Ce qui nous importe c’est nous. Nous nous inquiétons des
obstacles et des ennemis dans la mesure où ils nous empêchent de faire ce
que nous voulons ou d’obtenir ce dont nous avons besoin. S’ils ne gênent
pas ils n’existent pas. Et si ils gênent, ils doivent arrêter d’exister.
Nous avons passé suffisamment de temps à réfléchir sur l’ennemi, le
Système, le Capital etc .. Nous croyons que c’est l’heure qu’enfin nous
nous occupions de nous même. Qu’est-ce qui nous plaît ? Ne nous plaît pas ?
Que voulons nous ? Ne voulons pas ? Quels sont nos vrais désirs ?

C’est vers ça que nous tendons. C’est notre objectif, et nous sommes prêts
à aller vers ça, et partout ailleurs.

Les conditions sont là pour que ce qui existe déjà dans le principe voit le
jour et existe vraiment.

Comme le disaient certains étudiants de la préhistoire du mouvement
étudiant dans les années 60, les étudiants sont une classe en eux-même.
Nous ne sommes pas salariés, bien que pour la majorité d’entre nous nous
sommes destinés à l’être; nous ne sommes pas non plus dirigeants, comme peu
d’entre nous sont destinés à l’être. Nous sommes nulle part, nous sommes
encore en transition, en construction. Nous ne voulons pas dire que nous
sommes à l’abri de la merde du Système, mais nous disons que nous sommes
dans les conditions matérielles, concrètes, pour se révolter, se retourner
contre tout ce qui ne nous plaît pas et pour tout ce qui nous plaît.

Nous ne possédons rien, rien n’est à nous. Nous n’avons ni notre propre
maison, ni voiture, ni famille, ni enfants à charge, ainsi on ne peut pas
nous tromper avec le fait que nous sommes de la classe privilégiée, parce
que nous n’avons rien à garder. Il nous manque encore tout à avoir.

Tout est devant nous. C’est le premier point dont nous devons prendre
conscience : nous n’avons rien à perdre. Si nous faisons une grève, on ne
vas pas nous virer de notre travail, et on ne va pas arrêter de percevoir
un salaire, et nous n’avons pas non plus à perdre de stupides « conquêtes
sociales » avec lesquelles ils ont réussi à tromper nos parents. Si nous
faisons grève, non seulement nous n’allons rien perdre, mais nous allons
gagner beaucoup de choses, nous allons nous réapproprier un jour d’ennui,
et nous allons en faire un jour de vie réelle, de vie intense dans laquelle
nous allons faire à chaque instant ce qui nous plaît et non pas ce qui
correspond à notre rôle d’étudiant. Profitant du plaisir de l’instant
subversif.

Qu’on ne se foute pas de nous, la seule chose qui peut vraiment se perdre
c’est la peur. Ce n’est pas tant la peur de potentielles représailles des
diverses autorités – professeurs, parents, …- ni la peur de la punition
sociale parce que tu n’agis pas selon les attentes imputées à ton rôle.
C’est la peur de soi même, la peur de ne pas savoir quoi faire lorsque
personne ne nous dirige et nous dicte notre conduite. La peur de ne pas
savoir jusqu’où aller lorsque personne ne nous montre la voie, la peur de
ne pas savoir quoi faire à chaque instant. La peur de vivre sans maîtres.
La peur de l’incertitude.

Nous allons vous confier un secret : nous aussi nous avons peur ! Et même,
nous croyons qu’une bonne part de notre force se base sur cette peur. Nous
ne voulons pas que ça soit clair, nous ne voulons pas avoir le chemin
balisé ni une lumière au bout du tunnel vers laquelle nous diriger en
somnambules. Nous voulons construire notre vie au jour le jour, et par
conséquent, affronter la peur de vivre sans maîtres. Nous avons peur, c’est
vrai, et l’incertitude nous ronge, mais cette incertitude fait aussi que ça
nous donne envie et nous met en ébullition.

Vous n’êtes pas attirés par l’idée de faire l’expérience d’une vie nouvelle
et d’abandonner cette expérience médiocre ? Alors expérimentez, faites ce
que vous voulez, faisons ce que nous voulons, nous ne saurons pas ce que
c’est jusqu’à ce que nous l’expérimentions, et même ainsi nous ne pourrons
pas prétendre le savoir car à chaque moment nous découvrirons de nouvelles
choses. Nous ne nécessitons rien de plus. Nous voulons avancer. Vers où ?
Nous ne le savons pas. LÀ-BAS, par exemple, nous savons en tout cas que
nous ne voulons pas être ici. N’importe quoi à part ça, nous sommes
fatigués, ce monde nous ennuie, il ne satisfait pas nos besoins et nos
désirs, il ne nous plaît pas et nous ne nous amuse pas. Mais nous voulons
plus, nous voulons une vie meilleure.

Qu’on ne nous trompe pas non plus avec notre avenir. Nous ne sommes pas le
futur et nous n’avons pas non plus un bel avenir devant nous. Nous n’avons
pas envie d’accepter le futur, avoir un futur c’est s’écrire une mort,
écrire le roman de ta vie avant de la vivre : tu fais juste ce qui est DÉJÀ
écrit et tu ne construis pas ta vie au jour le jour. Et aussi nous
n’acceptons pas le futur parce que nous n’acceptons DÉJÀ pas le présent
misérable qui est là et nous n’acceptons pas non plus le futur de merde
qu’on nous prépare. Cette vie est misérable !

Nous sommes conscients malgré tout de notre situation dans le monde. Nous
sommes conscients que nous sommes ici pour être de futurs travailleurs,
nous savons que nous avons un rôle à jouer dans ce monde, celui
d’étudiants, celui de gens qui apprennent à avaler la merde, la merde de la
Réalité, celui de gens qui s’appliquent à apprendre l’idéologie
qu’insufflent les intellectuels du Système à travers la culture, de gens
qui apprennent à réduire leur corps et leur tête à des espaces et des
horaires rigides pour arriver dans le monde du travail avec le corps et la
tête déjà réduits. Nous sommes conscients que nous sommes des Étudiants.

Mais nous sommes conscients que nous ne voulons plus l’être. Nous ne
voulons pas nous habituer à des horaires et des espaces, nous ne voulons
pas avaler de la merde, nous ne voulons pas apprendre leur idéologie, ni
aucune idéologie. Plus d’intellectuels, plus de culture, plus d’art. Nous
aussi nous voulons arrêter d’être étudiants. Mais nous ne voulons pas
arrêter d’être des étudiants pour devenir des travailleurs ou autre chose.
Nous ne voulons pas quitter un rôle pour en embrasser un autre. Nous ne
voulons aucun rôle, nous ne voulons pas être rien, nous voulons être ce
dont nous avons envie à chaque moment. À chaque moment. Nous, étudiants,
devons commencer à arrêter de nous cramponner à des idéologies et pensées
créées, des choses DÉJÀ faites auxquelles nous nous accrochons à cause de
cette peur de vivre sans maîtres, à construire chacun sa vie à chaque
moment.

C’est le moment de se jeter à l’eau, d’abandonner toutes les croyances et
illusions qui nous garantissent la sécurité de vivre dans ce monde. La
sécurité dans cette société n’est pas plus qu’une barrière qui nous protège
de .. de quoi ? Vous êtes vous déjà demandé de quoi nous protège la
Sécurité qu’on nous offre ? De quoi devons-nous avoir peur ? Les sécurités
nous protègent de nous-même, c’est nous que les barrières ne laissent pas
sortir, et non les autres qui peuvent aller et venir. Ils ne nous
permettent pas de dépasser ce qui est permis. C’est notre propre police qui
nous surveille lors de nos arrestations à domicile. Tu te décomposes de
l’intérieur, tu t’endors et tu t’ennuies, avec l’assurance que tu vas
continuer à vivre, c’est à dire, que ton cœur va continuer de battre. Et le
reste ? Les rêves ? Les désirs ? Les émotions ? La passion ?

Tout cela est là, de l’autre côté de la barrière. Abandonnez les sécurités,
la seule chose qu’elles font c’est enchaîner, et lancez-vous dans
l’expérience palpitante de vivre sans normes, sans maître, sans rôle.
Expérimentez.

Nous voulons vivre et expérimenter MAINTENANT, pas à court ou long terme.

L’idée de la révolution comme processus est très bien, mais nous ne pouvons
plus attendre. Nous avons besoin d’améliorer notre vie, nous voulons
qu’elle ait une forme plus intense, et pour ça nous voulons lui créer des
moments où elle s’épanouira. Nous voulons des insurrections, des
soulèvements, des révoltes, la tension du conflit ouvert. Ça ne nous
convient pas d’avoir simplement le rêve d’une révolution, nous préférons le
rêve et l’utopie d’un moment d’insurrection. Le soulèvement est une
réappropriation, une vraie rupture avec la monotonie de la vie quotidienne,
avec les normes sociales, et avec les rôles qu’à chaque moment de la vie
nous devons adopter. Le moment de soulèvement rompt avec les horaires, le
temps, qui arrête d’être une tyrannie linéaire, pour devenir un désordre de
moments vécus intensément. Nous savons qu’une insurrection ne va pas
changer le monde, mais nous croyons qu’elle peut transformer notre vie.

Parce qu’il s’agit de changer le monde, mais aussi de transformer la vie.
Nous ne sommes intéressés par aucune révolution qui n’élève notre qualité
de vie. Nous ne sommes pas intéressés par un monde, aussi libre et juste
qu’il soit, si la vie est tout autant ennuyeuse, monotone, rationnelle et
médiocre que celle que nous vivons maintenant. Plaidons pour créer la
révolution qui ne triomphe jamais. Nous ne voulons pas triompher. Nous ne
voulons pas perdre le rêve et l’utopie. Les choses qui ont une fin ne nous
intéressent pas, ni les choses dont le destin annoncé est de mourir. Nous
ne voulons pas avoir de futur, nous fabriquerons notre vie au fur et à
mesure. Nous ne voulons pas nous définir maintenant, nos actes nous
définirons en temps voulu. Nous ne voulons pas que tout soit clair, nous
nous éclaircirons au fil de la pratique.

Les choses ne sont pas claires pour nous. Mais ATTENTION, ça ne veut pas
dire que nous allons permettre à des intellos de nous éclairer et de nous
dire qui nous sommes et ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas.
Nous n’admettrons pas d’avant-garde révolutionnaire qui viennent chapeauter
notre révolte avec leurs idéologies ? Et nous n’allons pas plus permettre
les leaders syndicaux ni les syndicats eux-même. Nous n’allons pas vous
laisser faire, nous vous prévenons, nous n’allons permettre aucune
tentative de manipulation, et nous allons pas vous laisser récupérer nos
luttes pour le système, nous menant vers le cours inoffensif de la
démocratie. À bas la démocratie ! Plus de dialogue ! Il faut faire face.
Nous vous prévenons, si vous essayez d’étendre vos griffes parmi-nous nous
nous jetterons sur vous avec toute notre colère. Mieux encore, nous nous
jetterons sur  vous, même si vous n’essayez pas d’y mettre vos sales
pattes, juste pour ce que vous êtes et ce que vous faites, pour votre
fonction de pompier des feux de la révolte. Récupérateurs de merde, vous
êtes dans notre point de mire.

Tout est dans notre point de mire. Rien de ce monde ne vaut la peine d’être
sauvé. Les étudiants, nous nous foutons de tout. Nous avons commencé par
revenir de la crédulité de la vie moderne, nous ne croyons pas dans la
sécurité du foyer rempli de sentiments électrodomestiques, ni dans les
machines qui donnent un bonheur pathétique, comme le sourire de l’âne
lorsqu’il meurt.

Les voitures ne sont pas plus que le modèle de l’idéal bourgeois du
bonheur. Brûlons-les, brisons les vitrines de l’aliénation et de la fausse
vie.

Brûler des voitures, briser des vitrines. Ce n’est pas une consigne que
nous vous donnons.

Brûler, casser, ce sont nos sentiments que nous vous lançons. Nous vous
lançons notre rage, notre colère. Nos désirs et nos rêves. C’est ce que
nous pensons. Voilà ce que nous sommes.

Nous nous répandons dans notre environnement telle la lave du volcan. Nous
voulons faire irruption, et pas attendre que les fleurs éclosent. Nous
voulons briller deux fois plus sans devoir nous résigner à ne durer que la
moitié du temps. Nous sommes des utopistes, des rêveurs. Des rêveurs ! Vous
avez arrêté de rêver ! Vous êtes devenus grands, vous êtes autant adultes
que ces universitaires envahis par l’ennui à vingt ans et quelques. Nous
autres nous n’avons jamais arrêté d’être des enfants. Nous sommes toujours
sauvages et nous résistons pour ne pas être domestiqués.

*Nous mordons.*

*Nous sommes utopistes et sauvages.*

C’est sûr que vous pensez qu’on est fous, pas vrai ?

Ce pamphlet est un virus. Il s’étend et se propage de par le monde sans
limites, en tissant des réseaux de désirs subversifs. Tu peux en faire
parti. Et même, tu peux l’incarner.

Répand-le, photocopie-le, offre-le aux gens que tu aimes. Crée du rêve.

*Des Sauvages*
* *

*Madrid, décembre 1998*

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