[Notre-Dame-des-Landes] A Nantes, la stratégie du Black Bloc

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Hystérie médiatique. Elucubrations gouvernementales. Hauteur de l’événement. Le «Black Bloc» n’est pas une organisation, mais une stratégie d’action dans la rue, une stratégie puissante, parce que diffuse. Tous ceux qui prennent le «Black Bloc» pour un groupe sont contre le Black Bloc. Il semble que la France et le monde entier soient mûrs pour une diffusion toujours plus large de cette stratégie, et toujours plus débordante. Cette stratégie et la vision politique qui la sous-tendent et l’animent demeurent incomprises bien au-delà des seuls canaux officiels.
L’erreur serait de vouloir justifier la destruction, de dire : «Nous cassons du flic et des vitrines, pour ceci ou cela, parce que ceci ou cela.» Ainsi s’exprime l’espoir, tenace, de nous ramener dans la grande famille de la gauche, comme ses brebis galeuses sans doute. Nous ne sommes pas de la famille, c’est tout. Il s’agit plutôt de donner le sens de la destruction même. Quand on l’envisage dans son entier, la destruction est toujours double : écarter un obstacle et faire de la place. Dans la destruction, celle qui nous intéresse, il y a toujours quelque chose en train de naître. Ce qui naît là n’a pas de place dans le monde, se fait de la place, mais n’en cherche aucune. Un élan vital, irréductible, irrécupérable, n’attend qu’à faire irruption. Le 22 février à Nantes , c’est une telle poussée que nous avons ressentie. Nous avons des frères que nous ne connaissons pas. Nous avons des frères que nous n’avons jamais vus que masqués. C’est la chance et la grandeur de la ZAD que, dans toutes les composantes du mouvement, on y partage une même détermination : pas question de lâcher, pas de négociation possible, on ira jusqu’au bout.
Ensuite, il faut l’avouer, ça se complique un peu. Quand chaque lutte semble recommencer à zéro. La perte de l’expérience, le manque de transmission entre les générations, c’est aussi cela. Et pourtant. Il est à la portée du premier venu de parvenir à une perception assez juste de la situation. On lutte contre ce projet. On voit qu’il s’inscrit dans l’aménagement du territoire. Et on s’aperçoit rapidement que l’époque qu’on est en train de traverser, pointe extrême de modernité démocratique, coïncide avec la dévastation de toute chose, qui recouvre elle-même la valorisation de toute chose. Il n’est besoin que de se promener pour s’en faire une idée. La plaie globale suinte localement, sous ton nez. Le territoire d’une lutte franchit toute assignation à résidence. Naturellement, les barricades de Nantes prolongent celles de la ZAD. D’accord pour aller jusqu’au bout, pourquoi s’arrêter en chemin ? Ceux qui ne comprennent pas ne veulent pas comprendre.
Ou alors, ils se méprennent sur ce que c’est que de prendre parti. Ils attendent un spécialiste, un savant, un beau parleur, un chef, pour être sûrs de ce dont ils sont sûrs. Et pourtant. En 2014,les deux pieds dans la catastrophe, il suffit de ne pas détourner les yeux, d’un peu de confiance en soi et de quelques amis, pour devenir révolutionnaire. On nous pardonnera de ne pas fantasmer sur le Larzac. La victoire d’un mouvement, c’est de construire, pas à pas, l’insurrection, pas d’obtenir son os suite à un tour de prestidigitation électorale, ou à quelque changement de cabinet. Or, on ne construit pas un mouvement révolutionnaire sans multiplier les émeutes, sans propager le sens et le goût de la destruction, sans s’aguerrir et se trouver chemin faisant.
«Casser du flic», soit dit en passant, cela ne signifie pas vouloir concurrencer la police sur le plan militaire, mais simplement qu’il est naturel de faire la preuve, en acte que, parmi toutes les possibilités existentielles, certaines sont intolérables. Il faut donc, pavé en main, en tenir informés les premiers concernés. Ce n’est pas parce qu’il appartient à l’espèce humaine qu’un flic mérite de vivre en paix. Accepter cette fonction est une infamie complète. Le gardiende Lager n’est pas moins immonde parce qu’il continue à fêter Noël en famille, et à aimer ses enfants. Et puisqu’ils nous liront avec attention : «Ohé ! Coucou ! Désertez, tant qu’il en est encore temps.» D’un point de vue tactique, nous sommes en faveur de la plus grande multiplicité et plasticité possibles. Qu’une de ses formes devienne hégémonique et la lutte s’en trouverait immanquablement affaiblie et appauvrie. Quand certains parlent de notre «trahison» à propos de ce 22 février historique, qui aura d’autres suites que judiciaires, il suffit de leur redire qu’il n’y a pas qu’une seule façon de lutter et, qu’au fond, il y en avait pour tous les goûts ce jour-là. Vous allez rire. Nous pensons qu’il est non seulement souhaitable, mais possible et nécessaire de se passer de la société, de l’Etat, de l’économie. Souhaitable, possible et nécessaire de faire autrement. Ici, dès maintenant. Nous savons aussi que ça a déjà commencé. Parce que c’est un chemin infini, une soif inaltérable et toujours à l’œuvre dans l’histoire, ou contre elle. En définitive, la question politique tient tout entière dans celle de l’ordre des choses. Les cases, les catégories, le réel comme quadrillage. Le nombre des couleurs. Tout cela se déplace et se modifie, selon les moments et les lieux. «Changer le monde» est un slogan inepte. L’ordre des choses ne cesse de changer. Ce qui ne change pas, c’est qu’il y en ait un. La question est donc : «Comment veut-on s’y mouvoir ?» Deux attitudes fondamentales, deux idées de l’existence, deux tensions, traversent le temps.
1) Il y a l’attitude conservatrice ou réactionnaire. Que les choses restent à leur place, ou qu’elles la «retrouvent». Boucler les choses en elles-mêmes, les administrer. Maintenir l’Ordre, le socialiser, en construire un Nouveau. Veiller à toutes les séparations, telle celle du haut et du bas. Démocratie, religion, fascisme.
2) Il y a l’attitude révolutionnaire. Vivre par-delà les compartiments, entre les choses. Passer outre. Tisser des liens et non fonctionner. Tout pour l’amitié, le partage, l’élaboration infinie, infinitésimale, d’une sensibilité. Les choses sont des portes et non plus des murs. La norme n’est que l’indice de notre faiblesse. Ce qui n’est rien est puissant dès qu’il se sait commun. Cette attitude est incompatible avec la civilisation. C’est ce qui la rend susceptible, accessoirement, de lui survivre. Wanted Communism, Alive. A tous ceux qui sont nés le 22.
Par des activistes luttant contre le projet d’aéroport
de Notre-Dame-des-Landes

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